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"Voir Venise, mourir à Varanasi" de Geoff Dyer

Je compris soudain pourquoi il y avait un côté étrangement familier, presque rassurant, dans l'exaspération qui m'assaillait depuis ces dernières semaines : c'était ce que je ressentais tout le temps à Londres. L'acceptation par défaut d'une existence où une bruine persistante de ressentiment, d'aigreurs et de déplacements en métro à l'heure de pointe était la norme, jamais remise en question. [Page 308-309]

Les coups et les beuglements d'avertisseur me cernaient. Le bruit, le vacarme, la poussière étaient incroyables. Mais n'est-ce pas génial qu'il y avait un lieu sur terre où fleurissaient le bruit, le vacarme, la poussière ? Quelle planète propre et ennuyeuse ce serait si tout devenait une banlieue de Stockholm, où les habitants attendaient patiemment leur tout et où les billetteries distribuaient de grandes coupures craquantes et sécurisées ! Où il n'y avait pas de dieux à tête d'éléphant montés sur des souris, où il n'y avait pas non plus de mendiants pour vous agiter leur moignon bandé et purulent sous le nez, ni des gardiens qui se faissaient passer pour des prêtes, ni de vaches sacrées en train de semer religieusement leurs bouses dans les rues, ni de singes déchaînés, ni de gamins à l'affût de la moindre roupie. [Page 309]

On croit toujours que cela signifie que toute votre existence se déroule devant vos yeux, et peut-être y eut-il une époque où c'était le cas. Mais à présent, à l'ère des petites phrases et des instants les plus marquants, un certain degré de relativité est de mise. On n'a pas à revivre dans le détail, le moindre moment de sa vie, le moindre désir, la moindre tentation ou abdication, toutes les heures et les heures passées à regarder la télévision, à attendre le bus, à se curer le nez. Ça, c'est juste du remplissage. Non, il y a seulement un nombre limité de moments qui comptent vraiment, qui constituent et définissent une vie. [Page 331]

De la Biennale de Venise aux bûchers funéraires de Varanasi.



Jeffrey Atman est un journaliste freelance britannique. Il est envoyé par un magazine à Venise pour interviewer une femme et couvrir l'inauguration de la Biennale, ce qui ne l'enchante guère. Pourtant, dès qu'il pose le pied dans la Cité des Doges, grâce à son passe de presse, il plonge immédiatement dans la débauche huppée de la Biennale qui réunit le petit monde de l'art contemporain. Lors du premier dîner, il y fait la rencontre de Laura, une galeriste californienne, qui lui rendra son séjour des plus agréables.


Quelques semaines après Venise, Jeff est envoyé à Varanasi par la rédactrice en chef du Telegraph pour écrire une chronique de voyage sur la "Ville des temples". Alors que le séjour devait durer cinq jours, Jeff décide de changer d'hôtel afin de se rapprocher du Gange. Il a décidé de rester plus longtemps à Varanasi mais finira par perdre la notion du temps.


Le truc avec le destin, c'est qu'il peut toujours faillir à s'accomplir, et même quand il s'accomplit, les apparences sont souvent trompeuses. [Page 219]

"Voir Venise, mourir à Varanasi" est un roman-diptyque écrit par Geoff Dyer, critique d'art, journalise et écrivain anglais avec l'aide de son épouse Rebecca. Il met en scène un quarantenaire un peu aigri, Jeff Atman, un journaliste free-lance qui est sur le terrain. Il est missionné pour écrire des articles demandés par des journaux. Il sera en deux lieux, deux cités où l'eau à une place prédominante : les canaux à Venise pour le premier récit et le Gange à Varanasi pour le second. Deux villes, deux univers à l'opposé.

Dans la première partie de ce roman, le lecteur découvre l'arrière du décor de la Biennale, et finalement celui de tous les grands évènements réunissant tout le gratin. Les mondanités relèguent au second plan, la raison principale de cet évènement, c'est-à-dire l'exposition d'art contemporain. Jeff vit une Biennale étourdissante avec au programme : sexe, alcool et drogue. Il vit la nuit et survit le jour. Malgré cela, Jeff aura l'occasion de se perdre dans les ruelles de Venise, l'occasion pour l'auteur, Geoff Dyer, de nous fait découvrir la Cité des Doges. C'est sans conteste ce qui rend cette première partie intéressante, encore plus pour un lecteur qui a été à Venise.

Dans la seconde partie de "Voir Venise, mourir à Varanasi", nouveau décor et nouvelle ambiance. A l'exubérance et la luxure des grands évènements se succèdent la misère et la description des corps qui brûlent sur le Gange. De l'Inde, à son arrivée, Jeff en prend plein la figure car tout est à l'oppression. Même si l'Inde l'effrayait au début de son séjour, Jeff commence à se sentir comme un poisson dans l'eau dans ce pays qu'il découvre pour la première fois. Tout ce qui le rebutait à son arrivée, le fascine de plus en plus. Il se laisse viter porter par l'extase spirituelle, le délire mystique et "souffre" rapidement de la fièvre de l'Inde. Jeff ne cessera jamais de prolonger son séjour et finira par perdre le fil de son existence. Certains lecteurs découvriront ce qu'il arrive à de nombreux occidentaux en Inde. Les autres qui connaissent cette "folie" de l'Inde, pourront retrouver Varanasi et ce qu'on y ressent.



"Voir Venise, mourir à Varanasi" sont deux histoires bien distinctes. Pourtant l'une fait écho à l'autre, sans se répondre. Même si certains passages peuvent paraître longues, notamment les frasques à Venise et le style british parfois lourd, ce roman mérite que l'on fasse l'effort de continuer la lecture, juste pour se perdre avec l'auteur dans les rues de Venise, ou se retrouver à Bénarès.

"Voir Venise, mourir à Varanasi" est le fruit d'un travail de documentation de l'auteur Geoff Dyer mais reste une fiction.


On compte sur les pancartes pour opérer des choix à notre place - en tout cas pour nous permettre d'opérer des choix. Celle-ci n'avait aucun sens, elle aurait pu aussi bien ne pas exister. Censée éclairer le passant, elle réussissait seulement à le jeter dans la perplexité, non ? Mais elle révélait peut-être une vérité plus importante sur Venise : quel que soit le chemin qu'on prenne, et même si on essayait de l'éviter, il vous menait à la place Saint-Marc. Quoi qu'on fasse, qu'on tourne à droite ou à gauche, le résultat était le même. [Page 70]
 

"Voir Venise, mourir à Varanasi"

De Geoff Dyer

Titre original : Jeff in Venice, Death in Varanasi

Traduit de l'anglais par Isabelle D. Philippe

Éditions Denoël & D'ailleurs - Date de parution : 10 février 2011 - ISBN : 978-2207261316 - 393 pages - Prix éditeur : 23,50 €


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