Les poudres rouges de Holi ont la couleur du sang, surtout mélangées avec l'eau sale de la ville. Elles me font avoir des pensées sinistres. Je ferais mieux de jouer avec les enfants ou d'aller miauler avec le petit chat affamé qui s'est glissé dans le jardin. Makenzy, j'ai tant de choses à te dire, tant à te raconter. Je pense aussi à Poto, ton personnage qui traverse la ville de Port-au-Prince. Lui doit savoir où ils vont, les pauvres, une fois que les bulldozers ont rasé les minuscules témoignages de leur existence discrète.
Une boîte de nuit célèbre qui se trouve sur Park Street à Calcutta. Deux amis accoudés au comptoir. Impossible pour eux de discuter à cause de la musique, trop forte. Une idée vient à l'esprit de l'un d'eux : "Et si on écrivait un livre ensemble ?".
C'est dans "Une boîte de nuit à Calcutta", que le projet fou d'écrire un roman à quatre mains a commencé. Quelques mois, quelques saisons plus tard, le résultat est ce livre d'un peu plus de 300 pages dont le titre, en toute logique, rend hommage au lieu où la graine a été semée, Calcutta.
Ces deux amis accoudés au comptoir se sont rencontrés à Pékin quelques années auparavant. Toujours par monts et par vaux, ils auraient l'occasion de se voir entre deux vols mais ils se ratent souvent de peu. Celui qui a eu la brillante idée de ce livre est Makenzy Orcel, une figure majeure de la littérature haïtienne qui vit entre Paris et Port-au-Prince. Son éditeur "Zulma" dit de lui qu'il est "un archéologue du sens, un écrivain sensoriel qui puise dans la marginalité une puissance d’évocation rare." Le ton est donné.
Son ami est Nicolas Idier, écrivain français, sinologue, membre du comité "Bouquins" aux Éditions Robert Laffont, amis de nombreux éditeurs et écrivains, et bien plus encore. Tout ce qui compte pour lui dans sa vie a commencé en Chine où il a vécu de nombreuses années jusqu'à la quitter en septembre 2014 pour aller vivre quatre ans en Inde.
"Une boîte de nuit à Calcutta" est la correspondance entre ces deux hommes durant une période non déterminée et qu'ils entretiennent dans le but d'écrire cet ouvrage original. Dans cet échange, il n'y a pas de fil conducteur, pas de règles, pas de tabous, pas de frontières. A tour de rôle, chacun prend la parole et écrit ce qu'il a envie. Il peut très bien s'agir du récit de leur dernière journée, de ce qu'ils sont entrain de faire à "l'instant t", de l'humeur du moment, d'un état d'âme, d'une expérience littéraire ou intime, de leur dernier rêve, d'un souvenir, leur révolte ... Ils parlent de leurs enfants, de leur mère, de leurs amis et connaissances (ils en ont quelques uns en commun), d'une personnalité littéraire ou de leurs maisons d'éditions, ... Ils peuvent très bien y avoir écrire ici et là une fiction.
Makenzy et Nicolas sont des citoyens du monde et comme on le découvre dans ce roman, leur profession leur permet de voyager souvent. Makenzy, tout comme dans ses romans, fera souvent référence à son pays qui est Haïti. Pour Nicolas, la Chine et l'Inde. L'Inde est très présente dans cet ouvrage, car lors de l'écriture de ce livre, Nicolas y vivait encore. Paris et la France seront leur port d'ancrage, là où ils finiront par vivre avant d'aller trouver un nouveau lieu d'habitation. Paris est la ville où ils retrouvent leurs amis, leurs éditeurs et leur famille.
"Une boîte de nuit de Calcutta", la littérature a bien évidement une place prédominante. Pour les lecteurs n'ayant jamais lu les romans de Makenzy Orcel et Nicolas Idier, ce livre permet de découvrir ces deux écrivains, leur merveilleuse plume, leurs publications mais également leurs influences. Ce roman est également l'occasion de découvrir certains autres auteurs - Bernard Frank et Kang Youwei pour ne citer que deux - mais nous permet d'entrevoir les dessous des maisons d'éditions.
Vous l'aurez compris "Une boîte de nuit de Calcutta" est un fabuleux patchwork littéraire qui ne peut procurer un plaisir indéfinissable à son lecteur. C'est un roman qui traverse les frontières et les continents pour atteindre une belle et forte universalité. Une belle leçon de vie et surtout d'amitié entre ces deux jeunes pères. Une belle leçon de littérature par deux grands écrivains.
Le courage d'écouter, de suivre l'auteur dans l'ombre, les régions reculées de la langue, ses pérégrinations les plus rocambolesques, voilà ce qui à mon sens caractérise un lecteur, un critique, un curieux, un vrai.
S'impose une réappropriation des mots lire, échanger , découvrir ... Attention, ce beau bandeau (comme si le nom de l'auteur ne suffisait pas) sur le livre affichant un [grand] prix ou une petite phrase racoleuse, informative, ne garantit pas sa [grandeur]. Le bandeau n'est pas une valeur ajoutée, n'a aucune valeur pour moi. Il est un témoignage de désespoir, d'essoufflement, un appel à l'aide.
Une boîte de nuit à Calcutta
Par Nicolas Idier et Makenzy Orcel
Éditions Robert Laffont - Date de parution : 9 mai 2019 - ISBN : 978-2221242308 - 306 pages - Prix éditeur : 20 €
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