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"Un nom pour un autre" de Jhumpa Lahiri

Cela ne devait pas arriver, et pourtant il a survécu. Il est né deux fois en Inde et une troisième encore ici, en Amérique. Trois vies à trente ans. Il en est reconnaissant à ses parents, et aux parents de ses parents, et à leurs parents. Il ne remercie pas Dieu, non. Il voue un culte ouvert à Marx et rejette toute religion. Mais il y a encore un être disparu qu'il tient à saluer. Il ne peut pas dire merci au livre, certes. Le livre a péri par un matin d'octobre, dans le même destin auquel il a échappé de justesse, réduit en pièces dans un champ à deux cent neuf kilomètres de Calcutta. Alors, au lieu de remercier Dieu, il remercie Gogol, l'écrivain russe qui lui a sauvé la vie.
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Dix-huit mois après son arrivée aux États-Unis pour rejoindre son époux Ashoke alors étudiant, qu'Ashima accouche de leur premier enfant, un garçon. Une lettre de la grand-mère qui a, c'est la coutume en Inde, choisi son prénom, n'arrive pas. Contraint de choisir un nom qu'ils pensent être provisoire, Ashoke, passionné de littérature russe et de l'auteur Nicolas Gogol, propose de donner le nom de famille de ce dernier à son fils. Au Bengale, d'où Ashima et Ashoke sont originaires, il est de coutume que chacun soit nommé de deux manières différentes. Le surnom de cet enfant, Gogol, est censé être utilisé dans le cadre familial et Nikhil dans le monde extérieur sauf qu'en réalité Gogol restera Gogol et le prénom Nikhil tombera dans les oubliettes. Des années plus tard, une petite sœur en plus et une jeunesse des plus américaines, Gogol va intégrer l'université et décide d'officialiser son nom de Nikhil. Gogol devenu Nikhil pensait qu'avec ce nouveau prénom lui apportera une normalité et ainsi s'intégrer plus aisément dans sa vie d'adulte. Pour autant, son entrée à l'université et ce changement de prénom lui fait perdre nombre de ses repères, familiales et identitaires. Pour autant, Gogol quittera le nid familial et vivra les expériences comme tous les jeunes (américains) de son âge. La perte brutale de son père réveillera ce malaise identitaire et Gogol prendra conscience de l'importance de la famille.



"Un nom pour un autre" est la seconde parution de l'auteur Jhumpa Lahiri. Son nom en anglais "namesake" signifie homonyme. Tout comme dans "L'interprète des maladies", Jhumpa Lahiri se penche sur la diaspora indienne à travers deux générations. La première, celle des parents arrivés directement d'Inde fin des années soixante. Lui pour poursuivre des études universitaires, elle pour rejoindre son époux qu'elle vient d'épouser dans le cadre d'un mariage arrangé. Pour elle, confiner à la maison et loin de sa famille et de ses racines, l'arrivée en Amérique est un choc des cultures. Les repères sont totalement perdus et elle doit se refaire une vie sur ce nouveau continent, de préférence en s'intégrant dans un groupe d'une même origine mais surtout en construisant sa propre famille. La seconde génération est celle de Gogol et de sa sœur. Ils ont grandit comme tout enfant américain, à la différence qu'ils ont été contraints à respecter les coutumes et les traditions bengalies, de se rendre pour de grandes vacances en Inde et de devoir fréquenter des gens de leur communauté. Mais dès qu'un vent de liberté s'est fait sentir grâce aux études, ils n'ont pas hésité à essayer de couper le cordon en s'éloignant du cocon et en franchisant les limites apposées par les parents. Les expériences sont nombreuses, les pertes de repères peuvent arriver mais peu importe la voie empruntée, rien ne coupera le cordon familial. Les épreuves de la vie renforceront les liens entre chaque membre.


Le lecteur suit la vie de Gogol et accessoirement celle de ses parents sur plus de trois décennies. Nous y découvrons les grandes lignes de sa vie, les expériences les plus importantes, les plus marquantes. Gogol est un personnage attachant, très simple mais qui a souffre d'un malaise persistant qui l'empêche d'être complètement épanoui. Sa recherche d'identité est un grand handicap, son nom de Gogol, ni américain et ni indien, n’arrangeant en rien les choses. Le deuxième prénom Nikhil pourrait lui donner cette identité qu'il recherchait tant et pourtant, ce prénom n'ayant pas vécu avec lui sa jeunesse, sonne faux. Il éprouvera à certain moment presque de la honte de l'avoir changé, en apprenant sa signification hautement symbolique pour son père. Malgré de brillantes études, Gogol ne sera pas chanceux en amour même s'il vivra de belles histoires.

Ashoke, le père, est un homme discret et pourtant il a un rôle très important tout le long du récit et même au-delà de sa mort. Il est un pilier sur lequel tout repose, il est à l'origine du prénom de Gogol mais il est également l'origine de cette expatriation, de cette vie américaine. Sa mère, Ashima, a été la plus perturbée à son arrivée aux États-Unis mais elle a su s'intégrer et se battre pour les siens. A son veuvage, elle fait preuve d'une intégrité et d'une dignité encore plus importante.

"Un nom pour un autre" est une lecture très agréable, on apprécie les détails qui nous projettent entièrement au coeur du récit, son histoire, son déroulement et son authenticité. Jhumpa Lahiri ne fait pas dans les clichés, n'apporte aucun jugement et laisse la vie s'écouler devant les yeux de son lecteur sans y omettre des faits importants dans la vie chacun et des péripéties très souvent déroutantes. Pour autant, chacun se relève la tête haute et toujours plus fort. Le lecteur ne peut être que touché par la sincérité et par l'amour imprégnant cette famille.

Jhumpa Lahiri restitue avec finesse la grande complexité des sentiments contradictoires qui envahissent Gogol, coincé entre tradition et modernité, pour trouver son identité. On sent que l'auteur s'est basé sur ses propres expériences, ayant elle-même grandit entre deux cultures. Pourtant elle ne livre pas ses propres expériences uniquement sur le personnage de Gogol mais sur les différents intervenants apparaissant au fil de la lecture.

"Un nom pour un autre" est un roman à découvrir ou à relire. Il aborde avec parcimonie le sujet du déracinement et de l'intégrité dans un nouveau pays, tout en le reliant avec l'histoire d'un homme.



"Théologiquement parlant, les "abcd" sont incapables de répondre à la simple question : "D'où viens-tu ?" assène le sociologue de la bande. Gogol finit par comprendre que ces "abc" désignent les American-born confused deshi", autrement dit les enfants indiens déboussolés d'être né en Amérique, autrement dit lui-même. Il apprend que "c" peut aussi signifier "conflicted, "déchiré"", mais il sait déjà que deshi peut être traduit par "indien", puisque ses parents et tous leurs amis appellent toujours l'Inde "desh". Quant à lui, il ne pense jamais à l'Inde avec le concept de "desh" à l'esprit, mais comme tous les Américains : l'Inde est un pays qui s'appelle l'Inde.
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Un nom pour un autre

De Jhumpa Lahiri

Titre original : The Namesake

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bernard Cohen

Format broché - Éditions Robert Laffont - Collection Pavillons - Parution : 26 Janvier 2006 - Nombre de pages : 360 - ISBN : 978-2221100646 - Prix éditeur : 22,50 €

Existe également en format poche chez 10/18 - ISBN : 978-2264044785




 

The Namesake Au cinéma


"The Namesake" ou en français "Un nom pour un autre" a été adapté au cinéma par Mira Nair en 2006 assistée par Michael De Casper. Une coproduction américo-indienne. Parmi les acteurs, l'on retrouve Irfan Khan - qui a par exemple joué le rôle du policier dans Slumdog Millionaire - et Tabu qui a joué dans de nombreux films indiens. Le rôle de Gogol est tenu par Kal Penn, un acteur plus connu aux Etats-Unis - d'origine indienne, il est né, tout comme Gogol aux États-Unis de parents américains - et que l'on connaît pour l'avoir vu dans la série "Dr House".








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