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"Un mauvais garçon" de Deepti Kapoor

Subitement grave, il se penche en avant, les coudes plantés sur la table, et me lance, Laisse-moi te montrer la ville. Laisse-moi te la faire découvrir. Tu verras combien elle peut être chouette. Je serai ton guide. Tu décideras par toi-même. C'est le marché que je te propose. Il me tend la main.
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Delhi de son exubérance, Delhi sans fard, Delhi palpitante, Delhi de tous les excès. Et tel une araignée qui tisse sa toile à travers la ville, un homme, un mauvais garçon. Sa proie, une jeune femme, naïve et soumise. Isha est encore étudiante à l'université, elle a vingt ans et nous sommes en 2000. Elle vit avec sa tante maternelle et son oncle, sa mère étant décédée et son père ayant oublié qu'il avait une fille en Inde. Ses souvenirs heureux, elle les a laissé à Agra où elle vivait avec sa mère, aujourd'hui elle doit s'acclimater de Delhi. C'est dans un café qu'elle fait connaissance de cet homme laid qui dégage quelque chose d'animal, "quelque chose de l'éléphant et du singe. quelque chose de chacal". Ce même homme qui l'année suivante sera mort. Mais pour l'instant, il ne l'ai pas et elle le suivra. En voiture, en rickshaw, à pied, il lui fera découvrir chaque recoin de Delhi, chaque quartier, chaque colonie, chaque artère, chaque dédale de rue et ruelle et chaque chemin. Il connaît Delhi comme sa poche et Delhi le connaît lui dévoilant ses parties les plus intimes. Elle cachera cette relation à sa tante en inventant des prétextes, une vie universitaire fictive. Trois semaines et la relation évolue. Elle deviendra sa chose, il pourra assouvir ses fantasmes les plus érotiques et perverses, lui fera l'amour sans arrêt le jour et se défoncera la nuit. Elle aussi découvrira l'alcool et la drogue, les effets et son commerce mais pas les limites. Limites qu'elle franchira bien plus loin, après avoir appris la mort de cet homme et les vérités cachés, et qui l'entraîneront dans une spirale dévastratice et destructrice.


"Un mauvais garçon" est un feu d'artifice qui peut laisser sans voix. Il dégage une grande force et une vitalité, où l'on retient sa respiration. Les codes littéraires sont mis de côté, les genres littéraires sont nombreux et entremêlés, épisodique, narrative, poétique pour n'en citer que quelques uns. On virevolte de scène en scène, d'un temps à un autre, d'un style à un autre, sans pour autant se perdre. C'est une toile artistique où l'on trouve des juxtapositions saisissantes où des thèmes sous-jacentes se dévoilent au fil des pages. Autodérision et stéréotype sont aussi légions. C'est aussi un voyage, un voyage dans Delhi, dans ses moindres recoins, tout y est dépeint, aucun coin n'est oublié et c'est saisissant presque troublant. Mais le voyage va bien au-delà de Delhi, avec de petits détours à Agra, Bombay, Varanasi/Bénarès, Goa et les montagnes himalayennes. Nous sommes également conduit dans les profondeurs des âmes, les frustrations, les interrogations, la confusion, la monotonie, la recherche de soit, le désir, l'angoisse ou la peur, les regrets. La nature humaine est décrite de manière sanglante et vive, une réincarnation monstrueuse de Shiva le Destructeur, concentré en un seul homme, qui est à la fois, séducteur, beau-parleur, menteur, voleur, trafiquant, faible, lâche, cupide, faible. "Un mauvais garçon" est une lecture enivrante et déboussolante à la fois, un livre addictif qui ne m'a pas laissé perplexe. C'est un vent de fraîcheur dans la littérature indienne, loin des codes et qui ose aller plus profond d'une réalité et des tabous, au profondeur de la complexité humaine et urbaine.



Quand je l'ai rencontré, il était déjà irrécupérable. Je ne le savais pas à l'époque, mais il était déjà irrécupérable. Parce qu'il ne s'arrêtait jamais, que, du jour de sa naissance, il n'avait jamais cessé de foncer, de brûler tous ses vaisseaux, de couper tous les ponts. Chaos tissé de joie, la joie de Shiva, mordant le sein de sa mère, folie innée.
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Dans mon sommeil, Varanasi ressemble à la scène d'un crash aérien. De petits brasiers sont éparpillés çà et là, parmi les débris qui continuent à brûler, les maisons démolies du jour au lendemain, sur les berges jonchées de cadavres. La nuit descend sur Varanasi et des feux isolés flambent encore furieusement dans les ténèbres, leurs flammes déployées vers le ciel voilent les étoiles et projettent des étincelles loin dans l'espace pendant que les âmes gravitent autour de la terreur d'ici-bas.
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Bombay en technicolor, cette lueur d'espoir, ville poignante cramponnées à la lisière de l'Inde, se détachant du siècle comme un dessin animé.
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La ville m'est proche à présent, je pense la connaître. Millions de vies, de cœurs, de poumons, de bras qui s'agitent et vous poignardent, mendient, matraquent, implorent, prient, gencives contre dents, dents contre chair, langues pendantes, frotti-frotta des corps dans l'obscurité, ivresse, déliquescence ourlets dépenaillés, points trop lâches, chèvres, poulets, un grand cri, ces odeurs, la poussière rouge et le diesel dans mes narines et ma bouche. Je crois connaître tout ça. Puis cette certitude se dissipe.
Page 59-60



 

Un mauvais garçon

De Deepti Kapoor

Titre original : A Bad Character

Traduit de l'anglais (Inde) par Michèle Albaret-Maatsch

Éditions du Seuil - Collection Cadre Vert - Parution le 20 août 2015 - ISBN : 9782021165678 - 201 pages - Prix éditeur : 17 € (également disponible en e-book)



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