Il ferma les yeux pour ne plus voir la lumière. Baignant dans l'obscurité, il sentit son moi se démultiplier en différentes personnalités qui ne se reconnaissaient pas dans celle qui était entrée dans l'urne. Désincarné, il n'était plus rien de ce qu'il avait été. Il pouvait se morceler à l'infini afin d'être celui qu'il avait envie d'être. Une vie nouvelle. Un homme nouveau. Qui n'a plus peur. Capable de bien plus qu'il n'a jamais rêvé.
Mukundan vient de prendre, à cinquante-huit ans, sa retraite de fonctionnaire. Après s'être éloigné de son village natal de Kaikurussi une grande partie de sa vie, il revient à contrecœur dans sa maison familiale laissée à l'abandon depuis le décès de sa mère. Il y retrouve Khristan Nair, le vieux domestique qui a toujours été au service de la famille et qui malgré son grand âge le sera encore pour Mukundan. Mais Mukundan redoute une personne plus que tout, son vieux père Achutan Nair, un homme insensible, brutal et tyrannique. Alors que Mukundan était enfant, il avait quitté sa femme pour une maîtresse et avait fait construire une maison juste en face de la leur. De plus, Mukundan, le soupçonne d'être à l'origine du décès de sa mère, tombée dans les escaliers des années plus tôt. Pour autant, Mukundan espère qu'un jour viendra où Achutan Nair lui dira sa fierté d'avoir un fils comme lui et qu'il se comportera enfin comme un père aimant. Avec ce retour au village, Mukundan espère également, de par son statut de fonctionnaire à la retraite et de surcroit celui d'être le fils du grand Achutan Nair, avoir de la notoriété. Pourtant, il découvrira assez vite que d'autres hommes sont influents et que lui n'est qu'un homme sans femme, sans descendance et n'ayant rien de mieux à faire lors de la retraite que de revenir s'enterrer dans son village.
Mukundan se liera d'amitié avec Bhasi, peintre en bâtiment. Bhasi, surnommé Bhasi le timbré dans le village, est un passionné de plantes médicinales, de littérature et possède un talent inné pour soigner les âmes perdues. Il n'est pas originaire de Kaikurussi et est arrivé un jour par hasard dans ce village qu'il n'a plus jamais quitté, c'est également le hasard qui l'a fait devenir peintre. Dès que Bhasi rencontrera Mukunda, il sait que ce dernier a besoin d'aide, celui d'être en paix avec ses vieux démons. Il tentera de le rendre un homme meilleur mais il se risquera à se brûler les doigts.
Que signifie être "Un homme meilleur" ? Dans ce roman d'Anita Nair, connue pour avoir écrit de nombreux romans dont le très célèbre "Compartiments pour dames" - une ode au féminisme et à la souffrance sociale des femmes - l'auteure se penche sur le cas des hommes. Elle nous y dépeint le parcours d'un homme pour devenir meilleur.
C'est à travers un panel de personnages masculins hétéroclites que se dessine le roman et principalement Mukundan. Mukundan est un homme qui a grandi sans la moindre reconnaissance de son père et qui possède toute la sensibilité qu'avait sa mère. Ce n'est pas un meneur, il n'a pas de prestance, il est souvent soumis et se sent inférieur même s'il a la fierté d'être fonctionnaire à la retraite. Il remarquera à ses dépens que cette étiquette de "fonctionnaire à la retraite" ne lui servira pas à grand-chose dans son village endormi du Kerala ou lorsqu'il aura des problèmes avec l'administration. Mukundan est donc loin du portrait cliché de l'indien machiste, sexiste et patriarcale, tout comme l'est son père Achutan Nair qui lui, par contre, en est le parfait exemple. Mukundan ne s'étant jamais construit de foyer - vivant durant toute sa carrière en colocation - et n'ayant pas de plan pour sa retraite devra en revenant à Kaikurussi finalement affronter les fantômes du passé qu'il a si longtemps évités. Il aura pour l'aider le fidèle Khristan Nair qu'il considère comme un
père-mère de substitution, un oncle et un grand-frère mais également Bhasi, un homme plus jeune que lui mais qui lui apportera du baume au cœur et qui lui fera comprendre que la vie doit être vécue malgré le poids du passé. Bhasi est un personnage central même si sa présence est secondaire. Quelques chapitres donneront à Bhasi exclusivement la parole sous forme de monologue où il s'adressera directement à Mukundan en le tutoyant. Bhasi est indéniablement la bonne-âme du roman et les passages le concernant directement font partie des passages les plus intéressants du roman mais surtout les plus touchants. Pour pimenter l'ensemble, Anita Nair a inclus dans le roman quelques évènements qui surgiront et qui pourront modifier le cours de l'histoire. L'abcès de l'Inde, la corruption, sera également également présent à travers quelques exemples. Le lecteur découvrira également quelques caractéristiques propres à l’État du Kerala dans le Sud de l'Inde dont est originaire l'auteure.
"Un homme meilleur" est un roman poétique et tendre, délicieusement écrit et qu'on prend du plaisir à lire. À travers les lignes de ce roman, nous sommes plongés dans ce petit village du Kerala, dans le style bucolique de Narayan.
A Kaikurussi, j'ai cru trouver un lieu en conformité avec mon paysage intérieur. A Kaikurussi, j'ai construit un monde qui n'appartenait qu'à moi. Un monde où rien ne pouvait me surprendre. J'ai trouvé la paix totale. Car ici, je savais qui j'étais. Et le besoin d'aller explorer les tréfonds de mon âme ne s'est jamais fait ressentir pendant que je passais mon temps à peindre des murs et à soigner des malades.
Un homme meilleur
De Anita Nair
Titre original : The Better Man
Roman traduit de l'anglais (Inde) par Marielle Morin
Éditions Philippe Picquier - En format broché et poche - uniquement en occasion
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