Il lui confie que c'est la chose la plus importante qui lui soit arrivée. Il a découvert quelque chose, quelque chose qui explique tout. Ne veut-elle pas savoir ce que c'est ? N'est-elle pas curieuse ? Il est pâle, la peau de son visage est tendue. Elle voit que la mort rôde en lui, cette mort dont il a été si proche pendant la guerre, lui et la mort dans un étroit couloir. Maintenant c'est comme une ecchymose qui ne veut pas guérir. Il presse son visage près du sien et elle se rend compte que, cette chose dont il parle, c'est ce qui empêche l'ecchymose de s'étendre de sa joue à ses os et de ses os à son sang.
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Dakka, février 1984 Rentrer à la maison n'aurait pas été possible si Silvi, l'épouse à Sohail n'était pas décédée. Après des années à errer de part et d'autres à travers le Bangladesh et avoir vécu un temps dans le petit village de Rajshahi où elle avait ouvert un petit dispensaire, Maya, aujourd'hui médecin, est de retour à la maison de son enfance. Mais la maison de ses souvenirs ne ressemble plus à une maison tranquille. Son frère Sohail devenu le "Huzoor", un saint homme, a investi peu à peu la terrasse en y faisant construire une cabane et un escalier extérieur où un flot incessant de fidèles et de pèlerins du monde entier viennent l'écouter prêcher et prier le Livre. Comment Sohail qui avait toujours été à l'opposé de quelqu'un de religieux, l'était-il devenu de manière si radical et extrême ? Pourquoi a-t-il troqué les jeans qu'il aimait tant porter pour une djellaba blanche amidonnée, un pantalon ample en coton ample dessous et une calotte visée sur la tête en permanence ? Pourquoi son entourage féminin est dorénavant uniquement composé de femmes gantées et vêtues de burqas noires alors qu'il aimait tant la beauté des femmes ? Pourquoi a-il brûlé les livres qu'il chérissait tant pour n'en garder qu'un ? Pourquoi refuse-t-il la scolarisation de son fils qui a plus l'allure d'un enfant des rues livré à lui-même et loin de bénéficier d'un amour paternel ? Effectivement, Sohail était revenu meurtri par la guerre et profondément métamorphosé. Il s'est isolé de tous, il a tourné le dos ses amis et sa famille, il a creusé un fossé toujours plus profond avec sa sœur préférant trouver un refuge dans le Livre qu'il lisait sur le toit de la maison et qui lui apportait un réconfort contre les horreurs de la guerre. Maya devra vivre ce retour avec ce poids en elle mais ce retour est un nouvel élan dans son existence. Elle choisit de prendre soin de sa mère Rehana, malade, tout en essayant d'apprendre les rudiments de la langue à son neveu. Maya retrouvera Joy, l'ami d'enfance de son frère revenu des États-Unis après s'y être réfugié à sa libération après l'Indépendance. Maya reprendra certaines de ses anciennes activités d'activistes souvent à l'encontre du Dictateur en place dans le gouvernement du Bangladesh et de ces meurtriers ou violeurs qui n'ont pas été jugés pour leurs crimes, frôlant avec une nouvelle fois l'inégalité.
"Un bon musulman" est le deuxième volet de la trilogie consacrée par Tahmima Anam à l'histoire contemporaine de son jeune pays, le Bangladesh. On y retrouve la famille Haque en 1984, plus d'une décennie après l'Indépendance du Bangladesh. Le roman est ponctué par des retours en arrière direction l'année 1972 juste après l'Indépendance où nous retrouvons Sohail de retour à la maison après des mois d'absence. Dans "Une vie de choix", le premier opus, les projecteurs étaient orientés sur Rehana, la mère de famille. Dans "Un bon musulman", le personnage principal est Maya, la fille à Rehana. Maya et ses culpabilités, son introspection, ses questions pour lesquelles elle ne trouvera pas de réponses, ses regrets et ses (nouveaux) combats. Dans "Une vie de choix", le lecteur pouvait découvrir son caractère bien trempé et la fougue de sa jeunesse. Dans "Un bon musulman", on la découvre assagie par les épreuves de sa vie. Elle est toujours une femme moderne et pas du tout superficielle car elle a toujours en elle cette flamme qui brûle pour dénoncer les injustices. Contrairement à son frère, elle a encore foi aux combats malgré certaines désillusions. Un autre personnage a pris du galon dans ce deuxième volet, celui de Joy, l'ami de Sohail. Concernant les autres personnages, certains que l'on s'attendait à retrouver dans cette "suite" ont simplement disparu. Je tiens tout de même à préciser qu'il n'est pas nécessaire de lire "Une vie de choix" avant de lire "Un bon musulman". Pourtant, je recommande fortement sa lecture pour la simple raison qu'il est dommage de rater cette magnifique lecture et qu'en plus il est très intéressant de suivre la famille Haque sur plusieurs décennies.
Dans "Un bon musulman", le lecteur y découvrira le jeune Bangladesh. Tahmima Anam examine les conséquences de la guerre, les dangers d'une paix précaire, les gains et les pertes de construction de la nation, la réécriture de l'histoire. La lutte vers l'Indépendance a laissé des traces toujours visibles. La loi martiale est en vigueur, les criminels de guerre n'ont pas encore été poursuivis et l'extrémisme religieux prend de l'ampleur comme on le découvre avec le personnage de Sohail. Durant l'accès à l'Indépendance, des femmes ont été violées, certaines ont pu se faire avorter dans des centres d'avortement en masse. Pourtant, les blessures physiques et psychologiques restent toujours profondes. Nombre de ces femmes ont été reniées de leur famille ou de leur village, leur vie à tout jamais gâché. Au sein du Gouvernement, le résultat n'était guère plus reluisant. Le Bangladesh voit son développement marqué par de nombreux troubles politiques : meurtres de deux de ses dirigeants, coups d’État et vit en 1984 sous le joug d'un dictateur. "Un bon musulman" est un roman très riche et bouleversant. En outre, d'avoir été édifié sur l'histoire récente du Bangladesh, le lecteur découvrira le prisme intime d'une famille bengalie à la recherche d'une identité.
Les amis de Sohail ne pouvaient pas comprendre sa conversation parce qu'ils n'avaient pas connaissance des évènements qui s'étaient produits avant. Ils pensaient que sa vie était pleine de bonheur, utilisaient des mots comme gai et enjoué pour le décrire. Un gai luron insouciant et chanceux en pantalon à pattes d'éléphant. Très rock-and-roll. Avant de rencontrer Dieu. Ils se rappelaient qu'il était très beau et qu'il avait un sourire éclatant. S'ils l'avaient mieux connu, ils auraient su que le sourire, la gaieté, la chance, l'insouciance, tout ça lui avait été pris par la guerre.
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Maya était toujours étonnée de ce que leur petit monde soit resté aussi limité. Pas de nombreuses relations, pas d'oncles ni de grands-parents. Il en avait toujours été ainsi : ils fêtaient l'Aïd avec Ammoo et ses amies du Club des femmes ; pas grand monde non plus pour les anniversaires, juste quelques voisins de passage. Et, pourtant, Maya n'avait pas le souvenir de s'être jamais sentie seule, ni d'avoir craint d'avoir abandonnée sur leur petite île alors que les autres étaient protégés par un cercle de relations bien plus large.
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Un bon musulman de Tahmima Anam
Titre original : The Good Muslim
Roman traduit de l'anglais (Bangladesh) par Sophie Bastide-Foltz
Éditions Actes Sud - Collection "Lettres indiennes" dirigé par Rajesh Sharma
Parution en librairie : janvier 2012 - ISBN : 978-2-330-002305 - 280 pages
Prix éditeur : 22,90 €
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