Cette nuit-là, j'ai revécu l'accident d'hélicoptère comme s'il venait de survenir, j'ai entendu les hurlements de mes camarades, les explosions, j'ai senti l'odeur fade de la mort qui rôde et qui vient faire son marché. Je lui ai échappé mais elle m'a rattrapé. Par miracle, j'avais été sauvé une fois du cercueil qui devait se rabattre sur moi vivant, il était indéniable qu'un autre venait désormais de se refermer pour toujours et que j'étais perdu, prisonnier dans une tombe qui, cette fois, ne s'ouvrirait plus avant des années.
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L'expression "trompe-la-mort" désigne une personne qui a échappé à la mort par miracle ou qui l'a défié. Cette expression est le surnom de Thomas Larch, un miraculé d'un accident d'hélicoptère dans le sud de l'Irak alors qu'il était soldat pour l'armée britannique et qu'il avait l'âge de 34 ans. Rien ne le destinait à faire une carrière militaire et ce n'est pas son coup d'essai à tromper-la-mort. Poisseux ou chanceux ? Flash-back en arrière. Tom Larch est né en Inde d'un père anglais et d'une mère indienne, on pourrait le considérer comme un anglo-indien (mon petit clin d’œil au précédent roman). Tom a passé son enfance à Delhi jusqu'à ses huit ans. Il ne voyait que très peu ses parents qui étaient ingénieurs et il n'avait pas de famille indienne car sa mère s'était fait rejeter des siens. Il fut pour autant choyé par Dhanya, sa nourrice, qui fut pour lui une deuxième mère. Elle lui a appris à marcher, à rire, à lire, à chanter, à danser, l'a initié à l'art du cerf-volant et était à ses côtés lorsqu'il était malade ou avait un problème. Tom ne voulait pas aller en Angleterre, mais la santé de sa mère se dégradait et son père scandait que le monde entier se faisait soigner à Londres, une fausse bonne excuse. À peine débarquer sur la terre anglaise, Tom a tout de suite détesté l'Angleterre. Sa famille et lui arrivèrent à Greenwich et leur maison était infiniment plus petite que leur appartement à Delhi. Sa mère n'a pas repris le travail et son père était peu présent, toujours en déplacement aux quatre coins de l'Europe. Tom, grâce à sa passion du cricket, a tout de même fini par trouver des amis en Angleterre, des fils d'immigrés indiens avec lesquels il passa le reste de son enfance et son adolescence. Mais sa vie s'est très vite obscurcie, il a survécu deux fois à des accidents mais sa mère est morte et son père avait une autre femme. Le jour de ses dix-huit ans, il quitte le domicile familial pour toujours et s'engage à l'armée. Seize ans après, on le retrouve, miraculé du crash de l'hélicoptère où il se trouvait lors d'une attaque surprise dans le sud de l'Irak. Un documentaire sur lui est tourné par Helen Mc Gunis une célèbre journaliste anglaise, une correspondante de guerre pour la BBC. Le reportage "Trompe-la-Mort" qui valera ce surnom ad vitam à Tom sera visionné à travers le monde. En incapacité physique de cinquante pour cent, Tom sera congédié de l'armée. Pour lui, commence une nouvelle vie auprès de Helen mais Helen est une femme de terrain et s'ennuiera très vite de Tom. Et le destin de Tom voudra qu'il revienne à Delhi mais pour quelle raison ? Là il faut lire le livre ... La boucle est bouclée, ou presque.
"Trompe-la-mort" est un roman qui se lit très facilement. Que dire de ce roman ? Exagéré ? Abracadabrantesque ? Tiré par les cheveux ? Le cycle de la réincarnation a eu un léger problème, Thomas aurait dû être réincarné en chat et non en humain, avec ses neuf vies ou plus. Je ne sais pas s'il faut dire qu'il est poisseux ou chanceux d'avoir une vie si remplie et si miraculeuse. L'on n'est juste étonné qu'il n'est pas plus dépressif avec le nombre de personnes qu'il a vu décédé auprès de lui. J'étais étonnée qu'à la centième page, il est déclaré mort surtout pour un roman de 388 pages et avec un grand vide de seize ans dont l'on perçoit des bribes éparses à travers les lignes. Heureusement, il survit mais sa vie devient somme toute assez banale, une vie de monsieur tout le monde ou presque. Cette nouvelle vie peut devenir assez ennuyeuse pour le lecteur mais l'auteur a jugé bon d'y mettre un terme en y rajoutant un peu de piment et l'on repart pour une grande aventure. C'est en Inde que l'on retrouve Tom pour l'ultime dernière phase du roman. L'idée de sa mission est intéressante mais impossible, autant rechercher une aiguille dans une botte de foin, l'Inde est vaste et les personnages sont peu coopératifs, il aurait presque fallu à l'auteur à rajouter des pages supplémentaires mais il a préféré laisser quelques lecteurs sur leur fin. Bien évidemment, ce qu'il m'a avant tout intéressé c'était les moments où le récit se déroule en Inde. La partie où l'on découvre la première fois l'Inde (la première partie), j'ai trouvé le récit plus intéressant que la seconde fois (et dernière partie du roman). Dans la première, Tom idéalisait sa vie indienne à travers ses yeux d'enfant alors que lorsqu'il revient trente ans plus tard, il a du mal à retrouver l'Inde qu'il avait laisser. L'auteur a d'ailleurs très bien réussi à nous faire voyager en Inde dans son roman avec ses descriptions très conformes à la réalité et loin des clichés. Pour autant, étant donné que je l'ai lu en quelques jours, j'ai trouvé tout de même le livre assez prenant et la lecture assez plaisante.
En Inde, les gens étaient colorés, de toutes les nuances, ici ils sont blanchâtres, comme des coquilles d’œuf, ou ils étaient gris, comme les murs et les imperméables, le gazon et le ciel, et je ne sentais que l'odeur du saindoux des fish and chips. Même leur été était fade. Le pire, c'était le silence, on n'entendait plus la pluie tomber, une pluie sournoise qui s'infiltrait dans les os. En Inde, la mousson était une bénédiction du ciel, ici l'humidité est une plaie.
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Les vrais amants sont des voleurs, quand ils ont trouvé la clé du coffre, ils prennent tout ce qu'il y a dedans et le dépensent sans compter, sans rien mettre de côté en prévision des jours de disette amoureuse. Ils dérobent sans vergogne tout et tout de suite, et s'arrêtent seulement avant de mourir d'épuisement.
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J'avais tout oublié, je ne me souvenais pas de cette misère effrayante. Le moment n'est pourtant pas pire aujourd'hui. C'était moi, avec mon regard d'enfant, qui ne la voyais pas, les enfants ne voient jamais l'univers des adultes, j'étais passé à côté, habitué et comme vacciné, j'étais un petit Blanc aussi différent qu'un Indien. J'avais dans ma mémoire ces images frelatées de carte postale du cérémonial du vice-roi lors des fêtes fastueuses des maharadjahs couverts de bijoux sur leurs éléphants chamarrés, ou des scènes colorées et sucrées des films de Bollywood, avec des paillettes, des fleurs, de la musique vive, à mille lieues de l'enfer que je traversais. On avançait centimètre après centimètre dans un univers chaotique.
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Je suis né dans cette ville. J'espérais y trouver mes racines mais je ne comprends rien à ce monde. Et rien à ses habitants. Je ne sais plus quoi penser. Ni qui croire. Je suis trop blanc, probablement. Tout m'échappe et disparaît derrière des écrans de fumée. Je suis le seul à ne pas avoir l'air de m'y repérer. Mes convictions s'enfoncent dans des sables mouvants. Je ne m'habitue pas au fait que, dans cet univers de faux-semblants, personne ne dit la vérité.
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Tu sais, mon fils, il ne faut penser qu'au présent, sans cesse. Le reste n'a pas d'intérêt. L'avenir nous est interdit ; pour nous, êtres humains, c'est le présent qui existe. N'oublie jamais que la vie est une maladie incurable, Tommy.
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Trompe-la-mort
De Jean-Michel Guenassia
Éditions Albin Michel - Parution du 2 janvier 2015 - ISBN : 978-2226312464 - 388 pages - Prix éditeur : 22 €
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