Les meilleurs parmi les vivants : bien que Nirmalya fût convaincu que son professeur figurait parmi les "meilleurs ", il était aussi déçu par l'intérêt de Shyamji pour la musique "légère", et sa recherche d'aisance matérielle. Un artiste doit se consacrer à la plus haute expression de son art et d'ignorer le succès ; il allait avoir dix-sept ans, ces idées lui étaient venues de livres récemment lus, mais il avait le sentiment d'avoir toujours pensé ainsi et que ces vérités étaient éternelles.
Bombay, durant les années quatre-vingt
Shyamji est le fils d'un grand artiste de musique classique et gourou, Ram Lal surnommé Panditji, décédé quelques années plutôt. Depuis cette disparition brutale, c'est à Shyamji que revient le rôle de chef de famille. Il doit s'occuper de sa mère, de sa famille et celles de son frère et de sa sœur. C'est pourtant grâce son beau-frère, Motilalji, un chanteur merveilleux avant de devenir alcoolique, que Shyamji est amené à donner des cours de chant à Mallika Sengupta, une dame bengalie, puis à d'autres élèves à travers Bombay. Grâce à ces cours de musique, du classique à la variété, dans les quartiers cossus de la ville, Shyamji sent qu'il commence à toucher du bout des doigts son rêve, celui de conquérir Bombay et à se faire de l'argent.
Mallika Sengupta, qui pratique le chant depuis près de cinquante ans, est l'épouse d'Apurva, un homme qui a gravi tous les échelons dans la prospère entreprise dans laquelle il travaille. Après avoir été directeur financier, il vient de succèder à un anglais, Dyer, à la tête de la société. Après la nomination à ce poste et le déménagement de l'entreprise dans une tour de Cuffe Parade, Apurva décide de quitter leur appartement "La Terrasse" de Malabar Hill. Les Sengupta emménagèrent dans un vaste cinq-pièces au dernier étage d'un duo de tours nommés "Thacker Towers" à Cuffe Parade, là où il y avait il y a quelques temps, l'océan. Mais ce déménagement ne plaît pas à leur fils unique, Nirmalya. Heureusement pour lui, cette adresse ne sera que provisoire.
Nirmalya est âgé de seize ans et vient d'entrer en année préparatoire à l'université, en attendant qu'il se décide entre la philosophie et l'économie. Il s'intéresse depuis peu à la musique et dès qu'il le peut, il essaye d'assister à des concerts de musique classique indienne, parfois en emmenant sa mère. Il a décidé que Shyamji doit lui enseigner la véritable musique classique indienne et la plus dure, la shastriya sangeet.
Amit Chaudhurti a publié nombre d'ouvrages que l'on peut définir comme étant des autofictions et des nouvelles. "Les Immortels" est un roman qui met en scène une famille bengalie à Bombay et en parallèle celle de leur gourou. Amit Chaudhurti a confié dans son autofiction "Ami de ma jeunesse", où il raconte l'histoire d'un écrivain venant à Bombay pour faire la promotion de son dernier livre, "Les Immortels" qu'il lui fallu neuf ans pour venir à bout de l'écriture de ce roman, le résultat est à la hauteur de ce qu'un lecteur aime retrouver : une histoire bien ficelée, sans fausse note et intéressante, un panel de personnages, un fil conducteur, ... Dans "Les Immortels", l'univers d'Amit Chaudhurti y est très présent : Bombay, la musique classique indienne et les cours auprès d'un gourou, la philosophie, les déménagements de ses parents dans divers quartiers de Bombay, une famille originaire du Bengale, les lieux de la jeunesse de l'écrivain, les études universitaires en Angleterre, .... Il est vrai que les cinquante premières pages de ce roman sont assez difficiles. C'est le temps nécessaire pour qu'Amit Chaudhurti puisse y poser le décor et y présenter ses personnages qui composent l'ensemble. Il est important que le lecteur s'accroche à ces premières pages car le roman offre une lecture passionnante. A travers notamment Nirmalya, un personnage central du roman, Amit Chaudhurti permet à son lecteur une sorte d'apprentissage indirecte de la musique indienne classique et le lecteur ne peut qu'apprécier apprendre sur cet art millénaire très complexe. Il est également intéressant d'apercevoir ce que c'est l'apprentissage de la musique à travers un gourou et ce que cela demande comme investissement personnel ... et financier.
En lisant "Les Immortels", le lecteur ayant lu précédemment "Ragas de l'après-midi" ne peut que repenser à cette autofiction d'Amit Chaudhurti qui mettait en scène un jeune homme faisant des études universitaires en Angleterre et qui se remémore sa jeunesse ponctuée par les cours de chant de sa mère, ses propres cours avec un gourou dorénavant décédé, le déménagement de ses parents, ... C'est ce qui est justement passionnant dans les écritures d'Amit Chaudhurti, c'est que finalement toutes ses publications se rejoignent tous, la source d'inspiration de cet auteur est "simplement" sa vie et ses expériences.
Pour revenir au roman "Les Immortels", le lecteur ne peut qu'apprécier divaguer dans Bombay des années quatre-vingt, notamment le sud de la ville. Il y découvre une ville qui commence à se transformer, s'agrandir, se métamorphoser : certains espaces sont volés à l'océan, des vieilles maisons sont démolies pour laisser la place à des immeubles, ... Durant les pérégrinations de Nirmalya, un jeune homme qui aime beaucoup marcher à travers la ville, Amit Chaudhurti nous rappelle avec nostalgie le Bombay de sa jeunesse.
"Les Immortels" est un roman dont l'auteur nous permet de côtoyer deux univers : celle des affaires et celle des arts. Elle met en avant deux familles, les Sengupta, une famille relativement aisée et celle du gourou Shyamji. Alors que les Sengupta ont touché les étoiles grâce à la domination du père de famille à la tête de l'entreprise au poste de PDG, Shyamji commence à toucher le monde grâce à ces cours de musique. Pourtant, les Sengupta ne resteront pas longtemps au sommet et devront connaître un train de vie plus modeste lorsque le père sera mis au rebus, à la retraite. Fini le luxueux appartement dans un des quartiers les plus chers de la ville, fini la voiture de fonction, fini les goûters dans les hôtels luxueux, ... Leur train de vie sera réduit comme peau de chagrin alors qu'en parallèle Shyamji n'a jamais connu d'aussi florissantes affaires, il continuera tout de même à quémander auprès de ses élèves, prétextant un juste retour des choses. Nirmalya sera au milieu de ce brouha un espèce de spectateur, il vit une période de sa vie où il rejette la vie facile auquel il a toujours été habitué et se cherche, tout d'abord dans philosophie et ensuite dans la musique, qui fera partie intégrante de sa jeune vie.
"Les Immortels" est un roman qui n'a pas remporté un franc succès lors de sa parution en France, faute sans doute à sa sobre couverture. Pourtant, c'est un roman qui mérite que l'on s'y attarde. Amit Chaudhurti nous prouve qu'il n'est pas uniquement un auteur de nouvelles et d'autofictions, mais un grand romancier. Il dresse dans ce roman "un tableau évocateur et subtil d'une société indienne en pleine évolution, partagée entre le respect des traditions et les attraits de la modernité".
"Les Immortels" Amit Chaudhuri
Titre original : The Immortals
Traduit de l'anglais (Inde) par Simone Manceau
Éditions Aux forges de Vulcain - Date de parution : 14 novembre 2012- ISBN : 978-2919176175 - 392 pages - Uniquement en occasion
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