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"Le Toit de tôle rouge" de Nirmal Verma

C'était une espèce de bonheur - pas de consolation -, de bonheur pur. C'étaient des jours heureux, mais elle n'en savait rien. C'est à l'âge adulte qu'on reconnaît le bonheur - quand on a oublié les malheurs de l'enfance - et à l'âge qu'elle avait, il lui était impossible de savoir quand commençait le cercle du bonheur une fois franchie la douleur, ou bien quand le bonheur, ce bonheur-là, se muait en douleur - impossible. C'était le temps de l'impossible.
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"Le Toit de tôle rouge" trône une maison en bois où vit une jeune fille du nom de Kaya, son petit frère Tchoté et leur mère clouée au lit, le père travaille et vit à Delhi et ne rentre que rarement au domicile familial. Au rez-de-chaussée de cette maison vit Miss Joshua, une vieille femme d'origine anglaise qui n'a jamais voulu retourner en Angleterre. Les logements des domestiques sont des baraques en bois, contigus aux maisons mais sans communications avec elles. Une des baraques, celle avec un rideau en toile de jute qui remplace la porte est la baraque du domestique de la maison, Mangtou, un homme originaire d'une ethnie des montagnes. Cette propriété se situe dans une petite ville dans les montagnes himalayennes où "on ne rencontraient ni âme qui vive à part les arbres, les forêts impénétrables et les singes sauvages, alors qu'il y avait des milliers de villes en Inde". La ville n'est habitée que six mois l'an, les autres mois de l'année ses habitants vivent pour la plupart à Delhi. C'est dans cet environnement que Kaya essaie de grandir et de s'épanouir, mais sa vie est monotone et solitaire. La journée est ponctuée par des jeux avec son frère du côté du temple de Kali ou de longues promenades seule près de la voie ferrée où elle a vu mourir son chien à cause de sa cousine Lala ou tout simplement à implorer Kali sur la terrasse entièrement nue. La nuit arrivée, elle n'arrive pas à trouver le sommeil. C'est à ce moment que ses sens sont le plus en éveil, la maison grince car le vent s'y engouffre, les portes claquent, la lune éclaire la maison, les arbres claquent, ... Chaque soir, elle espère que son père franchit la porte de la chambre pour les embrasser ou que Lala revienne. Lorsque son frère est endormi, Kaya se glisse hors de son lit, sort de la chambre qu'elle partage avec lui pour errer, rêver et vagabonder à travers la maison et pour rejoindre Mangtou dans la cuisine ou dans sa baraque. Kaya n'est pas une fille comme les autres, elle ressent des choses que d'autres enfants de son âge ne peuvent ressentir, phénomène qui est sans doute apparu un an auparavant, lors du séjour de Lala, sa cousine plus âgée qu'elle. De plus, elle est curieuse, n'hésitant pas à braver les interdits en se rendant dans des lieux inappropriés ou en observant par les fenêtres. Durant cet automne, cet hiver et les premières lueurs du printemps, elle quitte tout doucement son âme d'enfant pour rejoindre l'âme de jeune fille. Ce cheminement est rythmé par d'étranges mystères, qui la troublera, lui torturera l'esprit, la fera voyager dans un monde parallèle où ses pensées divagueront et la noieront de solitude. C'est comme si elle se réveillait d'un long sommeil et où elle prendra conscience du monde qui l'entoure, au-delà de ces montagnes et de ses forêts qui ont bercé son enfance. Une chrysalide qui se transforme en papillon.


"Le Toit de tôle rouge" est un fabuleux récit qui nourrit notre imaginaire au même titre qu'il nourrit le personnage de Kaya. Il se démarque en nous faisant découvrir un autre côté de l'Inde, l'Inde de ses montagnes, des villes érigées et délaissées avec leurs vestiges par les anglais, réappropriées par des indiens qui a leur tour y effectuent une transhumance pour quitter les plaines torrides pour se rafraichir sur ses sommets. Nirmal Verma a inclut dans cette histoire, nombre de mystères dont le lecteur ne trouvera pas la clé, mystères de la vie et secrets de famille où aucune réponse ne peut être transmises ou même divulguées, laissant à ses témoins, même des témoins qui n'auraient pas dû l'être, un point d'interrogation. On y plonge dans les abysses complexes de l'humain et surtout la prise de conscience d'une enfant qui franchit une étape de la vie. Des faits, tels des litanies, seront sans cesse ressassées par Kaya - les yeux dans la boîte aux lettres de Miss Joshua, le rire moqueur de Lala à la mort du chien, ce qu'elle a aperçu par la fenêtre de la chambre de sa mère ce soir d'automne, les objets amassés sous le guéridon de la chambre de Kaya par le chien, le tapis du vestibule qui se dandine, ... Les paysages y sont superbement bien décrits, de même que les sons presque mystérieux, au point qu'avec de l'imagination on peut les transcrire dans notre imagination. Par contre, j'avais du mal à le faire en ce qui concerne la disposition des pièces des deux maisons décrites dans le récit. L'auteur a intégré dans son roman des personnages très différents, avec chacun son propre caractère et sa propre personnalité, qui forment avec le récit une parfait osmose. Je trouvais que dans "Le Toit de tôle rouge", chaque partie du roman, nous fait découvrir une autre histoire avec son propre ton, son propre lieu voire même sa propre évolution. Mais pour autant, les parties sont toutes intimement liées par bien évidemment la chronologie des faits mais aussi par le personnage de Kaya. Chacune des demeures où vivra Kaya possède son lot de mystères - dans la demeure des parents de Kaya ce sont la maladie de la mère et la disparition brusque de Lala la cousine un an auparavant - dans la demeure de l'oncle c'est le mutisme de Birou et le lien entre l'oncle et la mystérieuse femme qui vit dans la maison des domestiques. Pour révéler encore plus ce mystère, les paysages montagnards, sa forêt dense, ses bâtiments abandonnés, ses nuages bas, l'annonce de l'hiver et du froid glaçant le sang et les incantations à Durga. Ce roman m'a fait retrouvé "Happy Valley" de Mussoorie, ses nuages embrassant la montagne, ses points lumineux au loin, sa pleine lune, ses vestiges à travers la forêt dense. Un roman que j'ai trouvé très agréable à lire, un tantinet mystique grâce à la subtile alliance de la forêt, de la montagne, des nuages et de Kali, la déesse de la destruction. Nirmal Verma est un magnifique conteur que j'ai déjà pu découvrir à travers "Un bonheur en lambeaux", son autre roman qui m'avait subjugué. Il a une façon bien à lui d'écrire mêlant une ambiance de mystère, des descriptions bien particulières, ... "Le Toit de tôle rouge" est une très belle découverte littéraire.



Parfois, dans la brume laiteuse du soir, la maison même lui semblait étrangère. Quand elle rentrait de ses escapades, elle s'arrêtait devant - une construction en bois de deux étages, en bas, la véranda déserte et les fenêtres fermées de Miss Joshua, en haut, le toit de tôle en pente, coiffé d'une cheminée noire : c'était sa maison.
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Et elle disparaissait bel et bien de son champ de vision - elle était dans une autre ville, où il y avait un toit de tôle rouge, complètement à pars, distinct de tous les autres toits, où il y avait des rails couchés dans le soleil, en haut, la boîte aux lettres de Miss Joshua, qui gardait l’œil ouvert et voyait tout. En cet instant, elle n'arrivait pas à croire à la présence de Birou, debout devant elle dans la lumière vaporeuse de l'église, présent mais complément inconscient de tout cela. Un doute terrifiant s'empara alors d'elle : cette ville ne serait-elle qu'un rêve ? Un mirage éphémère, une illusion - non, pas même une illusion, rien du tout -, la seule réalité, c'était cette église, ce garçon, ce corps crucifié dans la pénombre de la niche, c'était cela, la réalité à laquelle Boura l'avait abandonnée pour toujours.
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Le Toit de tôle rouge

De Nirmal Verma

Titre original : Lal tin ki chhat

Roman traduit du hindi par Annie Montaut et François Auffret

Editions Actes Sud - Date de parution : 2 janvier 2004 - ISBN : 978-2742745814 - 268 pages - Prix éditeur : 20,20 €


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