Aucune question ou réponse ne paraissait s'imposer. C'était assez. La plus grande et durable félicité ne cesserait jamais ; elle ne se retirerait pas ni ne tomberait dans la platitude où finissent la plupart des joies de ce monde.
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Krishnan est un jeune professeur d'anglais au Albert Mission College de Malgudi, petite bourgade d'Inde du Sud. Il est passé d'étudiant à professeur et hante les lieux depuis presque dix ans, même sa chambre au foyer du collège est restée la même. Son métier de professeur ne le passionne guère et il préfère s'isoler dans sa chambre pour lire et écrire de la poésie ou de la littérature. Après ces longues années en ces murs, il reçoit une missive de son père, laquelle lui signifie qu'il doit prendre ses responsabilités de mari et de jeune père. Sa première tâche consiste à trouver une petite maison en location où il pourra accueillir sa famille. Cette maison ne doit pas se situer trop loin de son travail et devra comporter une pièce bien à lui où il pourra vaquer à ses occupations. Grâce à son obstination, il trouvera très rapidement la maison rêvée et pourra accueillir Sushila, son épouse, et Leela, son nourrisson de sept mois. Sushila est une jeune femme très agréable, une très bonne mère et une bonne trésorière des finances de la maisonnée. Sushila et Krishnan n'auront pas d'autres enfants que la petite Leela. Ils accueilleront sous leur toit, une vieille dame du nom de Kittu envoyée du village par la mère à Krishnan qui s'occupera de la petite fille et qui tiendra la maison. A la base, ce geste aura été fait par charité, mais Kittu se révèlera indispensable dans le foyer. Après trois années de bonheur, Sushila tombe subitement malade et mourra après de longs mois de souffrance. Qu'adviendra-t-il de Krishnan et de Leela ?
"Le professeur d'anglais" a été écrit vers 1945 par le grand écrivain R.K. Narayan que l'on connaît avant tout pour avoir écrit "Le guide et la danseuse". L'histoire nous ramène dans la ville fictive de Malgudi que l'on retrouve dans de nombreux romans de R.K. Narayan. C'est un roman semi-autobiographique, inspiré de la propre expérience de l'auteur. En effet, l'épouse de R.K. Narayan, Rajam, tout comme Sushila dans le roman, mourut également très jeune de la typhoïde. De plus, R.K. Narayan, tout comme Krishnan, s'est également retrouvé seul avec sa fille de trois ans. "Le professeur d'anglais" est la fin de la trilogie thématique mais involontaire qui comporte "Swami et ses amis" et "Le Licencié ès Lettres".
Les lignes de ce roman nous montrent le formidable talent de l'auteur, d'écrivain et de conteur. Au fil des pages, le roman monte en intensité. Au début, le lecteur découvre un jeune professeur débutant qui vit tranquillement et insoucieusement dans sa chambre d'un foyer de collège. Mais il doit troquer cette vie pour enfin endosser le rôle de chef de famille, d'homme responsable. Tel un papillon, Krishnan se transforme et devient un homme avec des responsabilités. Il est souvent tenté de reprendre le rythme qu'il avait avant, pour s'adonner à la lecture et la rédaction de poèmes. Mais ses tentatives sont vite avortées, les priorités sont aujourd'hui tout autre. L'évolution continue avec le projet d'acheter une maison mais la subite maladie de Sushila, change tous les plans. Krishnan doit être un mari dévoué pour sa femme alitée au lit mais il ne doit pas oublier le bien-être de sa fille qui se retrouve amputée de sa mère qu'elle ne peut plus approcher. Après le décès de Sushila, Krishnan refuse de choisir la solution de facilité, celle de laisser sa fille à ses beaux-parents. Il décidera que sa fille doit grandir à ses côtés pour avoir une vie stable et équilibrée, quoiqu'en pensent ses proches et les commères. Par la suite, Kishan franchira une nouvelle étape dans sa vie, qui peut rappeler à son lecteur d'autres romans de R.K. Narayan. Krishnan, peu pratiquant, vivra une expérience surnaturel qui lui permettra de communiquer avec sa femme. Cette rencontre avec l’au-delà, lui ouvrira les yeux sur les détails de son existence et lui fera travailler son développement psychique. Krishnan deviendra plus serein, plus philosophe et profitera des joies simples de la vie. Pour atteindre le point culminant de la sérénité, il aura des moments de doute et d'angoisse. Mais grâce aux conseils de Sushila et une rencontre inattendue, il atteindra la paix intérieure et prendra les bonnes décisions pour son avenir et sa fille. Une vie certes simple mais essentielle pour sa plénitude.
À travers la lecture, on découvre également pourquoi R.K. Narayan a décidé de faire de son professeur, un enseignant de la langue anglaise. Son point de vue est parfaitement bien décrit dans ce paragraphe :
"J'expliquerais pourquoi je ne pouvais plus bourrer pour la centième fois de jeunes esprits de Shakespeare, de métrique élisabéthaine et de poésie romantique, ni les gaver d'analyses littéraires de théories et d'histoires bel et bien mortes, alors que ce dont ils avaient besoin, c'était d'exercer pleinement leur faculté de raisonnement. Cette formation avait fait de nous une nation de faibles d'esprit ; notre propre culture nous était étrangère, nous étions l'arrière garde d'une autre culture, tirant notre substance de reliefs et de détritus."
"Le professeur d'anglais" est un roman à découvrir. Narayan est un auteur qui n'hésite pas à toucher à la complexité du réel en reprenant le motif du renoncement, idéal spirituel indien. Dans ce roman, nous découvrons une fois de plus son énorme talent.
J'ignore encore aujourd'hui quels mots magiques elle prononçait là, les yeux fermés, et, même lorsque je plaisantais doucement (...), elle ne tentait jamais de se défendre mais opposait à mes commentaires la plus grande indifférence. Elle semblait avoir une vie intérieure profonde. Une odeur de camphre brûlé et de fleurs fanées flottait constamment dans cette alcôve.
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"Maintenant, écoutez-moi, me dit-il. J'ai pris depuis quelque temps l'habitude de rester de plus en plus longtemps le soir tout seul ici sur ce pyol. Ce filao, le soleil couchant et l'étant créent une paix à laquelle je suis devenu sensible. Je passe ici de longues heures sans autre désir que de demeurer dans cette sérénité. Elle vous donne l'impression que ce lieu appartient à l’Éternité, et qu'il ne sera pas touché par le temps, la maladie ou la décrépitude. [...]
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Dans ces menus flacons étaient concentrés l'essence de sa personnalité, le bruissement de son sari, le bruit de ses pas, son rire, sa voix, la lumière dansant dans ses yeux, le parfum de sa présence. Les flacons étaient vides maintenant mais il y flottait encore une flagrance qui, pour un bref instant, combla le gouffre entre le passé et le présent.
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"Nous nous mettons en marche vers la maison, formant un cortège silencieux et hébété. En traversant de nouveau le bois de Nallappa, je ne peux résister à l'impulsion de regarder en arrière. Les flammes apparaissent au-delà du mur ... Cette vue me cause au coeur une douleur étrangement sourde. Il ne peut y avoir dans la vie des surprises ou de chocs, j'observe donc calmement la flamme. Pour moi, ce qu'il a de plus réel, c'est ce spectacle et rien d'autre ... Dorénavant, plus rien ne m'inquiètera ni ne m'intéressera."
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Le professeur d'anglais
De Rasipuram-Krishnaswami Narayan
Titre original : The english teacher
Traduit de l'anglais (Inde) par Anne-Cécile Padoux
Editions 10/18 - Parution 1992 - 337 pages -ISBN : 978-226401599-3 - Uniquement en occasion #rknarayan #narayan #littératureindienne #auteurindien #auteurindiens #romans #malgudi
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