L’eau devant laquelle elle est arrivée il y a quelques minutes à peine a déjà disparu depuis longtemps, et pourtant elle est encore là, passé, présent et futur inexorablement mêlés en son sein, comme l’incarnation même du temps. Tel est le pacte de l’eau : le fait qu’ils sont tous reliés entre eux, inévitablement, par tous leurs gestes, tous leurs accomplissements et tous leurs manquements ; le fait que nul n’est jamais seul au monde. Elle reste là à écouter le murmure liquide de ce mantra, la psalmodie qui jamais ne cesse, répétant à l’infini son message : Tout ne fait qu’un. Ce qu’elle croyait être sa vie n’est que maya, illusion - mais une illusion qu’ils partagent tous. Et que peut-elle bien faire, sinon continuer ?
Dans le roman "Le pacte de l'eau", dont le titre original est "The Covenant of Water", Abraham Verghese, médecin et auteur américain, nous transporte au Kerala, d'où ses parents sont originaires. A travers cette magnifique saga épique, se déroulant entre 1900 et la fin des années 1970, soit sept décennies, l'auteur nous offre à découvrir la vie d'une famille chrétienne keralaise, propriétaire terrien, sur trois générations, dont le pilier est Big Ammachi, la matriarche du domaine de Parambil. Abraham Verghese s'est largement inspirée de l'histoire maternelle et ce roman est dédié à sa mère. "Le pacte de l'eau" est une histoire qui conquit facilement le coeur de ses lecteurs, tant qu'elle est prenante et magnifiquement bien écrite.
L'histoire
Travancore, côte de Malabar, 1900.
Une fillette de 12 ans, Mariamma, orpheline de père, est mariée par son oncle à un homme de 40 ans, veuf, d'une bonne caste et propriétaire terrien à Parambil.
L'homme est respectueux envers sa jeune épouse et sa seule particularité, c'est qu'il évite l'eau. Alors que les gens se déplace en bateau, il préfère marcher. Après un premier drame, Mariamma, surnommée Big Ammachi, apprendra de la bouche de son époux que sa famille est touchée par une Malédiction depuis plusieurs générations, la noyade.
Les années s'écoulent, les événements familiaux et historiques se succèdent ... Et celle qui sera surnommée Big Ammachi verra les décennies défilées.
A Madras, un médecin écossais, Digby, qui rêvait de devenir chirurgien à Gasglow vient d'intégrer le service médical indien, en pleine époque coloniale. Dans l'hôpital Longmere, dirigé par un affame et paresseux médecin-chef, il a la responsabilité de deux services, réservés aux "indigènes", les "locaux". Digby s'investit passionnément dans son travail et grâce à l'infirmière en chef, il pourra apprendre la chirurgie auprès d'un chirurgien indien. Mais un événement mettra fin à ses projets et ses rêves ...
"Le pacte de l'eau" est une histoire captivante, pouvant prendre parfois des tournures tragiques mais où la solidarité entre ses protagonistes est omniprésente.
Abraham Verghese a écrit cette sublime histoire avec un nombre infini de détails, décrits avec minutie. Il est facilement imaginable de recréer l'environnement où se déroule l'histoire : la nature foisonnante et la propriété de Parambil, la vie quotidienne et ses rituels, ... Il est également facile de s'imaginer les nombreux personnages composant ce roman et dont la la tête de proue est Big Ammachi. Ecrit par un imminent médecin, le domaine médical a également sa place à l'intérieur de cet immense pavé et l'auteur, une fois encore, ne lésigne pas sur les détails.
"Le pacte de l'eau" est un roman majestueux, où on y retrouve tous les ingrédients d'une excellente histoire, ceux qui animent finalement une vie : des moments de doutes, de joies, de peines, d'épreuves. C"est un roman qui nous transporte au Kerala, dans ce qui fut en 1949, la région de Travancore-Cochin-Malabar, au fil des premières décennies du XXème siècle, de la colonisation à l'indépendance et de la création de son identité propre à travers une histoire de famille palpipante. Le Kerala est un Etat indien où l'eau est omniprésente, adulée et crainte, il est l'élément de ce roman et sa place dans la hiérachie du roman est au même niveau que la protagoniste, Big Ammachi.
"Le pacte de l'eau", composé de dix parties, dont chacune débute avec une magnifique illustration, est une pure merveille, un de ces romans que l'on ne rencontre pas souvent. Entre "Cent ans de solitude" de Gabriel Garcia Marquez et le Buru Quartet, la tétralogie de Pramoedya Ananta Toer, "Le pacte de l'eau" est le roman de cette première décennie du XXIème siècle, incontournable, simplement fabuleux. Un roman qui ne vous laissera pas de marbre. Un roman coup de coeur et inoubliable.
La fillette qui tremblait devant l'autel, qui est allongée à présent auprès de son mari qui attend à présent un enfant, ne peut pas deviner qu'elle sera un jour la matriarche respectée de la famille Parambil. Elle ne sait pas qu'un jour tout le monde la désignera par un autre nom que le sien, celui qu'a choisi JoJo pour la baptiser, le tout premier mot anglais que le petit garçon a appris et qu'il lui a aussitôt attribué, non pas pour se moquer d'elle et de sa taille, si menue, mais en guise d'hommage : "Big". Il l'a appelé "Big Ammachi". Elle ne sait pas que bientôt elle sera cette Grande Ammachi pour tous les siens.
"Le Pacte de l'Eau" d'Abraham Verghese
Titre original : "The Covenant of Garden"
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Paul Matthieu
Editions Flammarion - Date de Parution : le 21 août 2024 - ISBN : 9782080441027 - 827 pages - Prix éditeur : 24,90 euros
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