Le portrait de Meera accroché dans l'escalier avait été pratiquement la première chose que Leela avait vue en pénétrant dans la maison. La photo avait été prise lors de leur rentrée universitaire au Presidency College de Calcutta - elle était manifestement heureuse. Elles avaient des tas de projets, s'imaginaient un avenir grandiose - deux adolescentes rêvant d'une existence remplie et passionnante. Elles écriraient de la poésie comme Rabindranath Tagore, et elles s'étaient inscrites en littérature pour lire et étudier les auteurs du canon : Milton, Wordsworth, Shakespeare.
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Qui est donc cette Leela et pourquoi un livre pour elle ? Pour trouver la source, il faut remonter le temps, lorsque Ganesh avait été le scribe de Vyasa pour le Mahabharana. Leela est une création de Ganesh qui l'introduisit dans le récit de Vyasa, dans la partie où ce dernier devait féconder les épouses de ses frères décédés afin d'engendrer des progénitures pour faire plaisir à sa mère. Leela, alors servante, sera la doublure des deux épouses, après que celles-ci ne voudront plus que Vyasa les approchent et que la mère de ce dernier veut malgré tout un troisième petit-fils. Mais Ganesh reconnut trop tard que c'était une erreur de l'insérer sous ce personnage, car Vyasa fera de Leela une obsession par sa beauté et la poursuivra au fil des siècles. Comment peut-on connaître ce détail et d'autres encore, simplement car Ganesh, ce dieu à tête d'éléphant interviendra quelques fois dans le récit dont la première sera celle où il nous contera les avatars de notre Leela (ou si vous préférez ses différentes réincarnations) et les liens qu'elle aura dans ses différentes vies avec Vyasa et une certaine Meera, qui sera toujours pour elle son âme sœur. C'est peut-être Ganesh qui orchestra et qui manipulera les différents personnages tels que des marionnettes dans "Le livre de Leela" ...
Justement on retrouve Leela, au début du XXIème siècle, alors qu'elle a déjà bien entamé son 9ème avatar. Après avoir vécu une vingtaine d'années aux États-Unis avec Hari, ce dernier décide de rentrer à Delhi pour habiter dans la maison dont a hérité Leela après le décès de son père et qu'il a fait restaurer afin que sa femme s'y sente aussi à l'aise qu'à New-York. Il avait certes promis à Leela de rester aux États-Unis mais il a le mal du pays. Il profite du mariage de sa nièce Sunita, la plus jeune fille de son frère, pour que son couple se réinstalle dans son pays d'origine et ainsi renouer ses liens avec son frère.
Avant la réception de mariage, personne, ni Hari et Leela, ni la grosse poignée d'invités et ni-même des organisateurs n'auraient imaginé que le retour de Leela à Delhi fera ressurgir un passé vieux de plus de 20 ans. Son retour mettra à nu tous les conflits et secrets de deux familles liées peu avant à peine quelque temps avant les épousailles : la première dont le chef de famille - homme fervent nationaliste hindou - qui rêve de briller en politique et la seconde celle d'un autre homme controversé universitaire spécialiste dans le sanskrit du nom de Vyasa. Tiens Vyasa, ce n'est pas lui justement qui a demandé à une époque très lointaine l'aide de Ganesh ?
Pour revenir à nos moutons, Delhi est plus petite que l'on peut croire, car en faite Sunita, la nièce de Hari se mariera avec Ash. Ash n'est autre que le neveu de Leela mais il ne connaît pas sa tante car sa mère Meera, l'âme-sœur de Leela, est décédée dans des conditions mystérieuses alors qu'ils étaient, lui et sa sœur jumelle Bharati, nourrissons. Effectivement Leela aurait pu donné des nouvelles à ses neveux mais c'est justement là que réside un grand mystère du livre. Le mari à Meera, Vyasa, n'a jamais parlé de leur tante à ses enfants et très peu de leur mère. Le seul passé restant de cette dernière sont les poèmes que Vyasa a découvert après la mort de son épouse et qu'il fera publié dans un livre nommée "Poèmes de Lalita". Mais un poème inédit sera publié quelques jours avant le mariage dans un tabloïd de Delhi, le Delhi Star, par un journaliste du nom de Pablo dont le nom "La dernière dictée" et son contenu seront le début d'un grand mystère et peut-être ouvrira la porte à certains révélations.
Autre question, comment se fait-il que le père de Sunita accepte le mariage de sa fille avec le fils d'un homme qu'il ne porte pas dans le cœur. En faite, en temps que nationaliste hindou, il veut profiter des qualités de généticien de son beau-fils, pour qu'il lui identifie un gène aryen dans son ADN, mais cette obsession peut s'avérer dangereuse et se retourner contre lui.
Mais avant de connaître les mystères et les secrets autour de Leela, le lecteur prendre place à la découverte des différents personnages, un grand kaléidoscope haut en couleurs, des histoires familiales, des secrets de polichinelle, des cachoteries, des révélations fortes, des épreuves, ...
Ce roman nous ouvre sur une multitude de facettes : mythologique en premier lieu, historique, culturelle et linguistique pour les orchestrer en une épopée des temps modernes. Un livre vraiment magnifique, d'une beauté et d'une écriture rare, qui nous fait durer le suspens jusqu'au bout et dont on ne peut pas imaginer la chute avant d'y être propulsé à la découvrir.
Alice Albinia, en lisant cette histoire sans connaître son nom, le lecteur pourrait croire qu'elle a été baignée dès sa plus tendre enfance dans les épopées et l'histoire indienne. Mais aussi étonnant que cela puisse paraître, Alice Albinia est bien d'origine anglaise mais son savoir est énorme.
Le livre peut effectivement paraître un peu complexe pour les lecteurs qui ne connaissent pas le Mahabharana, mais malgré tout essayé de le lire. Je le conseille vivement au plus grand nombre. Encore une fois "Lettres indiennes" dirigé par Rajesh Sharma nous permet de découvrir un livre sensationnel. J'ai hâte de lire le premier livre d'Alice Albinia dans la même collection "Les Empires de l'Indus, histoire d'un fleuve" qui promet d'être un magnifique chef d’œuvre.
Bharati détestait une chose chez sa grand-mère adorée : le ton avec lequel elle parlait de sa mère. Généralement, la vieille femme évitait simplement le sujet, mais de temps à autre, très rarement en fait, elle laissait échapper un commentaire et c'était alors comme si un voile se levait : la jeune femme rieuse des photos en noir et blanc disparaissait, et à sa place surgissait une silhouette épurée que Bharati était obligée d’observer - celle de sa jolie mère sans défense, incapable de répondre tandis qu'on lui lançais à la figure des accusations blessantes : frivole pour commencer, mais aussi indélicate et, terme qui touchait le plus Bharati, celui qui la rendait parfois hésitante dans es propres actions, même quand elle se trouvait à Londres : aguicheuse.
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Personne ne lui avait jamais dit qu'elle devait être la plus raisonnable, la plus responsable des deux ; personne n'avait jamais formulé une chose pareille. Ses parents ne lui avaient jamais demandé de veiller sur Meera. Mais elle savait qu'elle était dans cette famille un élément rapporté et elle n'avait jamais bien saisi les liens qui les unissaient : elle avait toujours senti que la tendresse qu'ils éprouvaient pour cette petite orpheline ne pouvait être que conditionnée dans sa bonne conduite. Toute petite déjà, elle se disait que Meera était celle qui méritait l'essentiel de leur amour. Elle était donc devenue une adepte des bonnes manières. Elle surveillait Meera. Elle faisait attention.
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Le livre de Leela
De Alice Albinia
Titre original : Leela's book
Roman traduit de l'anglais de Myriam Bellehigue
Éditions Actes Sud - Collection "Lettres indiennes" série dirigée par Rajesh Sharma
411 pages - 23,80 €
ISBN : 978-2330016388
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