En Inde, la poussière, le fleuve, les moussons, le ciel les enveloppaient dans une membrane sensible les rappelant à tout moment leur insignifiante qualité d'hommes, leur vulnérabilité, leur dépendance. Leurs raisons à eux d'exister, de soulever la poussière avec leurs bottes de soldats, leurs incessants mouvements de troupes à travers les plaines du Gange, du sud au nord, de l'est à l'ouest, lui apparaissaient chaque jour un peu plus comme des hoquets disgracieux, capables seulement de plisser un moment la surface de l'Inde, mais après, de nouveau, cette terre se dérobait, elle retrouvait sa platitude sans prises, les réduisait à cet état de passagers incapables d'enfoncer leur ancre dans le continent.
Après avoir vécu une vie riche et heureuse majoritairement passée à Istanbul auprès de son architecte turque du nom d'Abdurrahman Yalçin, son coup de foudre, Jaklin Crossman est décédée dans un hôpital sur la rive européenne du Bosphore.
Quelques heures avant de mourir, sa nièce Sarah est venue lui rendre visite à l'hôpital, vingt ans qu'elle n'était pas venue à Istanbul. Jaklin en a profité pour lui glisser une enveloppe où sa nièce y trouvera, sur une demi-page quadrillée, un numéro de tombe se situant sur la rive asiatique de la ville, dans le cimetière d'Haydarpaşa. Que représente ce numéro ? Jaklin souhaite que sa nièce s'intéresse enfin à l'histoire de sa famille et à celle de son grand-père Frederick qui a servi dans l'armée anglaise dont plusieurs années en Inde.
Dans ce cimetière, Sarah ne trouvera pas la tombe de son grand-père car il est enterré en France mais celle du lieutenant colonel Michael Biddulph. Frederick et Michael Biddhulph ont tous deux servi dans les 1st Royal Dragoons mais quel est le lien entre ces deux hommes ?
Thomas Daniell - Indian Temple, Said to Be the Mosque of Abo-ul-Nabi, Muttra
"Le fils de l'Inde" est un plongeon dans deux époques, séparées entre elles par près de 100 ans. Deux siècles, deux mondes, trois générations de Crossman. Crossman le nom de famille des protagonistes mais également le nom de famille de l'auteure, Sylvie Crossman. Avec "Le fils de l'Inde" sommes-nous en face d'une fiction ? Le mystère reste entier.
"Le fils de l'Inde" peut paraître au premier abord un roman dans lequel un secret de famille y est bien caché. Pourtant, "Le fils de l'Inde" apporte tout autre chose, il donne la parole aux morts. Il y a tout d'abord Jaklin qui vient de décéder et dont sa présence accompagne les déplacements de sa nièce Sarah qui est à la recherche d'éléments autour de l'histoire de son grand-père Frederick. Il y a ensuite Frederick, dont 100 ans le séparent des pérégrinations de sa petite-fille. On retrouve ce dernier lors d'évènements qui bouleversèrent sa vie et son destin : sa détermination à quitter le quartier ouvrier de l'East End à Londres en s'engageant dans l'armée, sa nomination au poste d'ordonnance - de batman - pour un lieutenant colonel des Dragons alors qu'il se trouvait en Uttar Pradesh en Inde, sa vie après l'Inde et la Première Guerre Mondiale qui nous ramènera à nouveau à Londres mais également dans le Nord de la France. Un dernier personnage s'immisce dans le récit, ce mystérieux homme enterré dans ce cimetière d'Istanbul.
"Le fils de l'Inde" rend hommage aux poètes : Leno le poète des pauvres, Shakespeare et avant tout le grand Tagore. C'est aussi un hommage aux indiens ayant servi dans l'armée du Raj Britannique, en Inde mais également durant la Première Guerre Mondiale en Europe. Hommage encore une fois à ceux qui ont laissé la vie, qui se sont sacrifiés. À travers les pages de ce roman, l'on ne peut que se délecter des détails apportés par Sylvie Crossman, un véritable enchantement au récit nous permettant de nous plonger dans l'ambiance des différents lieux. Une très belle lecture.
Le fils de l'Inde
De Sylvie Crossman
Éditions Seuil - Date de parution : 3 mai 2018
ISBN : 9782021397451 - 288 pages - Prix éditeur : 19 €
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