Elle avait habité dans une seule pièce durant de nombreuses années. Le sentiment de sécurité que ce lieu lui avait apporté n'existait pas dans ce grand espace ouvert où elle vivait désormais. Qu'avait-elle à la place ? Une obscurité fantomatique et un vent violent. Et toute la journée, une chaleur cuisante. Combien de temps pourrait-elle passer à l'ombre de cet arbre ? Elle aurait voulu rentrer chez elle, à Tholur, tirer la lourde poste métallique et fermer le loquer, puis se recroqueviller sur son matelas. Protégée de tout.
Kumaresan et Saroja sont tombés amoureux l'un de l'autre, de la plus belle des façons. Mais la vie n'est pas un conte de fées, leur vie maritale, dans le village natal de Kumaresan, sera loin d'être idyllique.
Kumaresan et Saroja avaient été voisins à Tholur. Saroja a grandi dans cette ville auprès d'un père et d'un frère aimant. Kumaresan venait de quitter son village pour travailler dans un soda shop. La pièce où il travaillait - un espace qui abritait les bouteilles, une machine à fabriquer du soda et des bacs remplis d'eau - était également le lieu d'habitation de Kumaresan mais il préférait dormir dans la cour. C'est dans cette cour, que des mois durant, Kumaresan et Saroja s'observèrent avant de devenir de plus en proche. Ils finirent par franchir le pas et s'unirent pour sceller leur amour, mais en secret. Après leur union, ils fuirent la ville pour la campagne.
Mais l'accueil qui sera réservé aux jeunes mariés, à Kattuppati, le village natal de Kumaresan où ce dernier pensait trouver refuge, sera exécrable. Sa mère maudit immédiatement ce mariage et par la même occasion son fils et sa bru. Elle débutera une longue litanie sur le malheur qui s'abat sur elle, une litanie qui ne prendra jamais fin.
Saroja devra supporter les insultes et les humiliations constantes de sa belle-mère et les remarques blessantes des habitants du village. Elle ne pourra pas compter sur le soutien de Kumaresan qui, voulant créer son propre commerce de soda, sera absent toute la journée. Comment leur situation va-t-elle évoluer ?
Sur cette terre étrangère, elle ne trouva pas de réconfort que dans le rocher en lui-même. Elle avait l'habitude de marcher sur des sols lisses et du béton. Ses pieds nus n'avaient jamais connu le contact direct de la pierre. La sensation était à mi-chemin entre la douceur des mains de Kumaresan et la rugosité de son étreinte, et cette pensée la faisait frissonner de plaisir à chaque fois qu'elle foulait la surface du rocher. Toutefois, la prudence s'imposait. Au moindre trébuchement, elle risquait de se tordre la cheville et de tomber face contre terre.
"Le Bûcher" a été publié par les Éditions Stéphane Marsan, une maison d'éditions qui propose des romans "dépoussiérant notre vision du monde". "Le Bûcher" répond parfaitement à leur objectif éditorial.
"Le Bûcher" est un roman dramatique dont le thème central est la caste. A l'origine, ce roman a été écrit en tamoul sous le titre de பூக்கு - Pūkkul̲i par Perumal Murugan, un célèbre écrivain de littérature indienne tamoule, et qui a ensuite été traduit en anglais par Aniruddhan Vasudevan en 2016. Avec "Le Bûcher", le lecteur est transporté dans un petit village aride de l’État du Tamil Nadu dans le Sud de l'Inde où les mentalités n'ont guère évolué depuis des lustres, pour ne pas dire qu'elles sont restées bien ancrées. Les habitants sont restés accrochés à leurs croyances et nombre de leurs superstitions désuètes persistent malgré que quelques membres de la jeune génération font des études et vont travailler dans des grandes villes.
"Le Bûcher" décrit la venue de jeunes mariés dans le village natal de l'homme nommé Kumaresan et des premiers jours de leur installation. Dès leur arrivée en lisière du village, les habitants font tout de suite preuve de curiosité et souhaitent connaître la caste de la femme. Mais face au silence de Kumaresan et au mutisme du couple, les spéculations prennent de l'ampleur. Généralement dans les romans de littérature indienne, reflets de la société indienne, plus la femme est pâle de peau, plus elle a la chance de trouver un bon époux. Cela peut également être le signe d'appartenir à une bonne caste mais dans "Le Bûcher", c'est le contraire. Perumal Murugan ne nous révèle pas explicitement la caste de la jeune femme mais il permet au lecteur de la deviner, notamment au moyen de quelques indices laissés de-ci de-là. Il semblerait que Perumal Murugan n'a pas cité volontairement le nom de la caste car finalement ce n'est pas ça qui importe dans le roman mais le sort qui est réservé à ceux qui y sont nés. Kumaresan, fils unique et orphelin de père depuis son tout jeune âge, pensait que sa famille serait tolérante et accueilleraient Saroja les bras ouverts, comme elle l'a lors du veuvage de sa mère. Mais Kumaresan réalisera qu'il s'est trompé car il n'aura le soutien d'aucun membre de sa famille. Il prendra même conscience de certaines choses qui lui ont échappé jusqu'à présent les concernant. Kumaresan et Saroja feront face à des paroles enflammées et Kumaresan fera même à de la violence physique déshumanisante. Ils seront bannis par sa famille mais également par les villageois. Ils deviendront des parias, des personnes méprisées et mises à l'écart. Pour Saroja, le choc est encore plus terrible car elle a grandi à la ville et se retrouve dans un lieu inhospitalier, loin du confort moderne et de la liberté qu'elle jouissait avant, seule. Dans "Le Bûcher" Perumal Murugan ne lésine pas sur les détails pour décrire ce coin du Tamil Nadu et les habitants qui y vivent. Les descriptions des gens et des paysages sont en adéquation : secs, arides, rocailleux, brutes, épineux, ...
Comment des gens peuvent détruire un membre de leur famille, un ami, un voisin, ... sur le principe d'un "catalogage" ? La bêtise humaine n'a pas de limites et c'est exactement ce que nous décrit Perumal Murugan dans ce roman bien tissé. La haine et la violence qui dégagent de ce roman n'ont pas de limites et montent en intensité au fil des pages. Mais heureusement, Perumal Murugan a prévu quelques retours en arrière, des petits intermèdes empreints de douceur de légèreté permettant à son lecteur de reprendre son souffle. "Le Bûcher" n'est pas un roman qu'il faut voir comme stigmatisant l'Inde rurale, lui donnant notamment une image arriérée. L'auteur, fils d'une famille modeste d’agriculteurs, a sans doute voulu montrer un exemple à petite échelle, peut-être même inspiré de faits réels. En lisant le roman, soyez à l'écoute de ce qu'il se dit entre ses lignes.
"Le Bûcher" est un roman poignant disons même déchirant. Perumal Murugan a osé écrire un roman traitant des questions sociales où il dépeint des faits qui se révèlent être aujourd'hui encore tabous mais qui continuent d'exister. "Le Bûcher" est une véritable vraie prise de conscience démontant que la haine n'a pas de frontière, pas de limite.
"Le Bûcher" est également l'occasion de découvrir l'écriture de Perumal Murugan, une figure de proue de la littérature contemporaine de langue tamoule et dont ses œuvres abordent des questions sociales contemporaines comme les castes, la pauvreté, la corruption et la cupidité, entre autres. Un auteur qui permet de dépoussiérer notre vision de l'Inde et dont on espère, que ses autres ouvrages soient traduites en français.
"Le Bûcher" de Perumal Murugan
Titre original : பூக்கு - Pūkkul̲i - Pyre
Traduit de l'anglais (Inde) par Emmanuelle Ghez
Éditions Stéphane Marsan - Date de parution : 15 janvier 2020 - ISBN : 978-2378340179 - 216 pages - Prix éditeur : 18,00 €
Sélection DSC Prize for South Asian Literature 2017
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Sur le même sujet Love Commandos est une ONG indienne qui accompagne et protège les couples de castes différentes, victimes de harcèlement ou de crime d'honneur de leurs familles. L'association est créé en juillet 2010 par Sanjoy Sachdev, ancien journaliste, à la suite d'une affaire particulièrement choquante, celle d'une course-poursuite menée par trois hommes s'estimant bafoués par leurs sœurs, et ayant abouti à la mort de deux desdites sœurs ainsi qu'à l'un des trois maris. L'association compte environ 2000 bénévoles qui reçoivent en moyenne 3000 appels par jours de demande de protections. Certains couples demandeurs sont hébergés dans une maison dont l'emplacement est tenu secret par peur des menaces qui visent explicitement l'association et les couples demandeurs En cinq années d'action, de 2010 à 2015, environ 35000 couples ont ainsi été protégés et ont pu s'unir.
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