Vous ne comprenez rien, cette Lalita est le souvenir d'un oubli, rien de plus, tout comme ce poème. C'est le rôle de l'art de nous rappeler à quelque chose, et le visage de cette Lalita est celui d'une actrice, un visage qui se transforme pour raconter une histoire, afin que nous n'oublions pas qui nous sommes, que nous n'oublions pas notre culture, la trame de notre et son rasa. Cessez de vous tourmenter et d'agiter la nuit avec vos pleurs.
Quatrième de couverture En 1981, François Truffaut réalise le film La Femme d'à côté, drame portant sur les amours destructrices de deux amants qui se revoient après de longues années de séparation. Très vite ils découvrent que leur ancienne passion a creusé en eux une béance qui, cette fois, agira comme un formidable appel d'air balayant tout jusqu'à la mort. Dans ce troisième roman de Marie-Thérèse Schmitz, Lalita, l'Inde se déploie tout entière et saupoudre ses légendes sur La Femme d'à côté pour en approfondir le sens et en subvertir la conclusion. Le réel cependant reflue constamment par un jeu de va-et- vient entre le film rejoué et les histoires vivantes qui se jouent "à côté", celles qui se croisent, se lient, formant une trame mystérieuse sur fond de secrets... Et La Femme d'à côté devient alors Lalita. "- Qui est cette Lalita ? demanda B.V. Sir. - Une actrice débutante, répondit Prakash. - Personne ne s'est renseigné davantage sur elle ? Prakash tapota son téléphone. Les informations étaient maigres : aucun profil Facebook ou autre, pas de site, seul un article de journal la décrivait comme exceptionnelle, une force dramatique et une présence cinématographique digne de la grande Smita Patil." L'art de Marie-Thérèse Schmitz apparaît ici dans toute sa ferveur, une grande fresque pleine d'humanité, au coeur de l'art indien, de la peinture au cinéma.
Bénu est le dernier d'une lignée de miniaturistes et à douze ans il a déjà un talent inné. Bénu a toujours connu la maison familiale peuplée d'élèves indiens et étrangers venus apprendre cet art auprès du grand maître que fut son grand-père. A la mort de ce dernier, c'est le père de Bénu qui prit la relève en quittant son emploi de comptable. Parmi les élèves, il y a Prakash, un étudiant en art à Mumbai et faisant partie des favoris au point d'être considéré comme un membre de la famille. Mais la venue de Nadège, une française, sema le trouble au cœur de la maison. Prakash fut renvoyé à Mumbai et marié à Sonali. Nadège ne lâcha pas l'affaire et reprit contact avec Prakash devenu un grand artiste, un miniaturiste d'un nouveau genre. Elle proposa à ce dernier de le faire connaître en France dans des festivals dédiés à l'Inde. Elle y invita également le maître de Prakash le père de Bénu et le petit Bénu. C'est après ce séjour en Europe, que le père de Bénu tomba de vélo et perdit la mémoire. Il oublia tout, le nom des dieux et déesses qu'il peignait, les noms des acteurs et actrices de cinéma qu'il chérissait, les membres de sa famille. Pourtant, il se souvient d'un seul nom et d'un seul visage, celui de Lalita. Lalita l'actrice qui joua dans ce film indien à caractère social vu à Paris lors d'une des longues soirées où Bénu et son père furent abandonnés par Prakash et Nadège. Même les remèdes dictés par l'astrologue - pujas, jeûnes, don de l'ombre, pierres - rien ne permit au père de Bénu de retrouver la mémoire. La dernière solution est d'envoyer Bénu à Mumbai chez Prakash et Sonali, afin qu'il y retrouve Lalita.
Elle n'était pas la seule à se consacrer à un artiste indien, des Françaises soudain se révélaient agent, gouvernante, nounou d'artistes indiens parfois médiocres, l'amour de la dévotion les rendant aveugles quant au talent de leur protégé, promouvant ainsi un art exotique pour lequel personne n'avait de repères. Ces femmes, des oisives le plus souvent, s'adonnaient mollement à un art traditionnel indien, dilapidaient des fortunes familiales en locations de salles, en festivals de l'Inde, des femmes seules pour la plupart, ayant trouvé refuge dans une idée de l'Inde, une matrice dans laquelle elles vénéraient des swamis, vouaient des cultes à des dieux, s'entouraient de signes, de présages, de songes, et au fond se démenaient pour maintenir vivant le souvenir fidèle d'un premier amour indien, de cette vie-ci ou d'une précédente, dont elles voyaient l'amant réincarné dans leur artiste élu.
"Lalita" est le troisième roman de Marie-Thérèse Schmitz et pour ma part, le premier que je lis. À travers cette lecture, j'ai découvert bien plus qu'un roman. J'ai avant tout découvert un auteur écrivant avec une plume délicate une histoire complexe et subjuguante mais surtout un auteur avec d'énormes connaissances dans de nombreux domaines dont l'Inde. Des connaissances que Marie-Thérèse Schmitz nous fait partager à travers chaque page de ce roman en nous offrant ainsi une véritable immersion en Inde, à Mumbai et au coeur de la campagne indienne, au point de nous faire oublier que c'est un auteur français qui a écrit ces lignes et non un auteur indien. Ses connaissances sur les arts et les lettres sont un puits sans fond et l'on apprécie chaque détail et chaque information transmise. Un roman sublimé par l'insertion des nombreuses histoires du panthéon indien dont le Gita-Govinda dont on y trouve de magnifiques extraits. Mais l'on apprécie également d'autres extraits tels que les poèmes du poète et philosophe Mîr et ceux d'une pièce de Shakespeare. Même si le roman débute principalement autour de l'art des miniatures et sa symbolique, le cinéma a une place prépondérante dans le roman. Marie-Thérèse Schmitz nous offre à travers ce roman, une fabuleuse initiation ou pour les plus chevronnés des révisions reprenant l'univers cinématographique indien mais également français. "La Femme d'à côté" de François Truffaut est indéniablement la clé de voûte du roman. On y retrouve, il y est plus vrai de dire que l'on assiste, à une réadaptation version indienne de ce film dramatique où d'anciens amants se revoient après de longues années. Des retrouvailles qui raviveront la flamme de la passion, une passion destructrice. Une autre passion nous est révélée dans ce roman, une passion qui peut se relever également destructrice dans certains cas, la passion de l'Inde qui est pour une fois abordée de manière plus sombre et moins volubile à travers le personnage de Nadège. Marie-Thérèse Schmitz n'hésite pas à analyser voire même d'y mêler l'héritage des textes sacrés, du cinéma indien d'aujourd'hui et du cinéma européen entre eux. Le personnage principal, Bénu, est très intéressant. C'est un garçon très attachant qui possède de nombreuses qualités et un sens aiguisé de l'observation. Il a l'art d'inventer des histoires, de les raconter et surtout de les adapter en fonction de ses interlocuteurs. Ainsi sur un sujet comme son séjour en France et ses impressions sur ce pays, il arrive sans mal à déballer plusieurs versions, qui disons-le, chacune ayant sa part de vérité. Bénu est un adolescent qui est projeté sans préambule dans le monde des adultes, en surface cela n'a pas l'air de trop le perturber pourtant dans les rêves c'est autre chose. "Lalita" est un roman passionnant et plein d'humanité qui nous fait découvrir la complexité des relations hommes-femmes tout en y intégrant un pays énigmatique et très riche qu'est l'Inde, un pays en pleine mutation et qui malgré tout essaye de rester ancrer dans ses traditions. Une ode à l'amour inassouvi et surtout une Inde dépeinte loin des stéréotypes.
Certains prétendent que le Gita-Govinda est un poème mystique, et que Radha symbolise l'âme en quête de Dieu, d'un absolu, d'un ensemencement qui n'est pas l'engendrement, et que Krishna, en s'enfuyant, crée cette distance provoquant sans cesse la recherche de Radha. Dans les deux films, l'épouse du héros, de l'amant, la rivale, devient mère : pour la première fois dans Silsila, pour la deuxième fois dans la "La Femme d'à côté". Ainsi l'amante, en comparaison, apparaît-elle incomplète, elle s'en punit en se haïssant jusqu'à la mort dans la "La Femme d'à côté".
Lalita
de Marie-Thérèse Schmitz
Éditions 11/13 - Date de parution : 12 janvier 2017 ISBN : : 9791091004282 - 416 pages - Prix éditeur : 18 €
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