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"La Somme de nos folies" de Shih-Li Kow 🇲🇾



L'Histoire imprègne les lieux les plus variés. Toutes sortes d'objets prétendent à une importante historique : une petite maison en bois ici des fondations en pierre à Beruas, le bureau d'un éminent personnage, une paire de ciseaux en or provenant d'un palais, la dépouille d'un saint homme, la vidéo d'un autre, un peu moins saint, et ainsi de suite. C'est une liste sans fin. Même les choses immatérielles acquièrent du poids : un prénom de famille, quelques dates, les propos d'Untel.


Après avoir vécu et dirigé un hypermarché à Kuala Lumpur, la capitale, Auyong habite désormais à Lubok Sayong, une ville dans l’État du Perak, dans l'ouest de la Malaisie. Il s'est installé dans ce bourg régulièrement inondé dans l'idée d'y jouer un gentleman retraité à la direction de la conserverie locale de litchis. Même si l'on y trouve de merveilleux coins de pêche, un loisir dont est friand Auyong, Lubok Sayong est loin d'être une ville attrayante et peu de touristes s'y égarent. C'est une ville idéale pour les personnes en quête de coins perdus pittoresques et aimant le contact avec des personnes très atypiques. Loin de l'effervescence de Kuala Lumpur, Auyong se sent à Lubok Sayong comme un coq en pâte. Mary Anne a grandi dans un orphelinat de Kuala Lumpur où tout le monde avait pour nom Mary quelque chose dans son prénom. C'est à onze ans qu'elle fut adoptée par un couple de Lubok Sayong mais lors du trajet retour ils eurent un accident de la route, seule  Mary Anne survécut. Beevi, la belle-sœur du couple, décida d'adopter la jeune fille. Après avoir  vécu durant de nombreuses années dans une maison typique de la région où à chaque inondation les pilotis avaient les pieds dans l'eau, Beevi décida de reprendre possession de l'ancienne demeure de son père, au sommet de la colline, "La Grande Maison". Avec l'aide de sa nouvelle protégée, elle en fit une chambre d'hôtes.



"La Somme de nos folies" vous transporte en Malaisie principalement dans la ville fictive du nom de Lubok Sayonk. Même si la ville n'existe pas, elle possède toutes les caractéristiques d'une ville malaisienne où le multiculturalisme a une place prépondérante. En effet, en Malaisie, 25 % des malais sont d'origine chinoise et 10 % sont d'origine indienne notamment tamoul. Les narrateurs de "La Somme de nos folies" sont Auyong et Mary Anne, l'ancienne et la nouvelle génération de malais mais avant tout des pièces rapportées. Tour à tour, ils nous racontent leur vie, ils nous content des histoires dont ils sont témoins et à travers elles celles des habitants de Lubok Sayonk et celle de leur ville d'adoption, une ville qui, discrètement derrière leur récit, se métamorphose. Dès les premières pages du roman, le lecteur est happé et le ton est donné par son auteure Shih-Li Kow. On se retrouve chez Beevi, une femme de la même tranche d'âge qu'Auyong, alors que la ville a vécu simultanément une éclipse et une inondation sans doute centenaire. Beevi y a décidé de redonner la liberté à son compagnon, un poisson très particulier. Pourtant, ces premières pages du roman ne sont qu'une mise en bouche de ce qu'il nous réserve par la suite. Nous découvrons au fil des pages du roman, des personnages très souvent loufoques, drôles et attachants. Shih-Li Kow n'a pas hésité à y ajouter un peu d'action pour éviter que le roman s'enlise et de nombreuses surprises sont réservées au lecteur. L'avantage d'avoir un roman se situant majoritairement dans une ville fictive, Shih-Li Kow a ainsi pu modeler son récit à sa guise et ainsi apporter un récit d'une incroyable richesse, ponctionnant ici et là (en Malaisie), légendes et croyances, politique malaisienne, questions sociales, sujets de société, aléas de l'histoire, ... Même si la ville de Lubok Sayonk est fictive, l’État auquel elle est rattachée ne l'est pas et Shih-Li Kow nous fait découvrir cette région et ses caractéristiques. Ce qui est certain, c'est que l'on n'a pas le temps de s'ennuyer à Lubok Sayonk où les habitants fourmillent d'idées.

"La Somme de nos folies" est un roman offrant une image désopilante de la vie malaisienne contemporaine en dehors de Kuala Lumpur, la capitale. L'écriture est fluide et belle, les personnages ont juste ce qu'il faut d'excentricité et l'ensemble ne manque pas d'humour. Ce roman apporte une lecture plaisante et pertinente, un concentré de Malaisie. À travers les pages de ce roman, l'on retrouve tout le charme de cette péninsule.



Une inondation n'a rien d'une mer. La mer entre en conversation avec vous. Elle vous presse, se dérobe, exige qu'on lui réponde. Les vagues et le sable qui se meut sous nos pieds ont leur cadence ; quand on est dans la mer on en comprend intuitivement les motifs. Alors qu'une inondation ne cherche qu'à s'échapper. Elle ne vous parle pas, elle sait que jamais elle ne reviendra et ne perd pas son temps à badiner quand son seul but et de se retirer.

Petites notes

"La Somme de nos folies" est un roman m'ayant rappelé d'autres de mes lectures. Tout d'abord, il m'a fait penser à "L'incessant bavardage des démons" d'Ashok Ferrey, un roman où le décor est posé à Kandy au Sri Lanka. Même si de nombreux kilomètres séparent ces deux lieux, la topographie de Kandy est assez ressemblante avec Lubok Sayonk. De plus, l'on y trouve une "Grande Maison", une petite masure et quelques phénomènes paranormaux. "La Somme de nos folies" m'ayant également rappelé les romans de R.K. Narayan, un auteur indien, qui a posé le décor de ses nombreux romans dans une ville fictive de l'Inde du Sud, Malgudi. Les personnages de "La Somme de nos folies" m'ont rappelé les personnages des nombreux romans de Narayan car ils  sont à la fois curieux, atypiques et ils ont tant à nous livrer. Dans "La Somme de nos folies", l'on aimerait tant qu'ils prennent à leur tour la parole.

Brickfields le quartier de Kuala Lumpur où se situe l'orphelinat de Mary Anne est le vrai quartier indien de la ville.




 

La Somme de nos folies

De Shih-Li Kow

Titre original : The Sum of Our Follies

Roman traduit de l'anglais (Malaisie) par Frédéric Grellier

Éditions Zulma • Parution le 23 août 2018 • 384 pages • ISBN 978-2-84304-830-2 • Prix éditeur : 21,50 €


Je tenais sincèrement à remercier les Éditions Zulma de m'avoir donné l’opportunité de lire ce roman juste sublime et qui ne manquera pas à ravir les lecteurs français.

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