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La lune du tigre de Antonia Michaelis

Le vent de l'Inde dans les hauteurs Porte, indolent, dans son sein Du curry doré les senteurs Et de l'encens les lourds parfums. Le vent de l'Inde au-dessus du pays, Jadis fécondé, aujourd'hui pesant, Emporte du feu de charbon la suie Et de l'orbe du soleil le safran. Le vent de l'Inde dans les ruelles indiennes Colporte de vieux récits De vie et de mort, d'amours et de haines. Si le vent indien tu poursuis, Et l'oreille lui prêtes, Alors, sans détour, je t'avertis : Les contes du vent indien sont traîtres.
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Plutôt conte que roman, "La lune du tigre" nous transporte dans une Inde Coloniale bercée d'histoires mythologiques où l'on trouve dieux et démon, princesse et héros, monture et spiritualité. 


Lors d'une chaude journée du mois de juin au XVIème siècle, un marchand fortuné qui s’octroyait le titre de raj, rencontra durant un voyage dans le désert la plus belle femme qu'il n'eût jamais vue. Ahmed Mudhi c'était son nom, négocia ferme la main de cette femme au doux nom de Safia, qui signifie "vertu". Les parents de cette dernière, de haute caste et pourtant très pauvre, vivent cette demande de mariage expéditive comme un signe des dieux et ne résignèrent pas à voir en premier lieu leur propre intérêt. C'est ainsi que Safia devient la huitième épouse de Ahmed Mudhi, dut faire ses adieux à son beau désert pour rejoindre le harem de son époux. Par chance, des affaires pressantes puis une soudaine maladie du marchant empêchèrent au mariage d'être consommé. D'autant plus que Safia sait que son arrêt de mort a déjà été signé et la sentence serait irrévocable si le marchand apprenait qu'elle n'est plus vierge. Malgré ses tentatives de fuite lors du convoi jusqu'au palais puis au sein du harem, Safia ne peut pas échapper à son destin. Heureusement, elle peut compter sur l'eunuque, gardien du harem, Lalit dont le surnom signifie "celui qui arrive à point nommé". Durant quelques soirs, il viendra dans sa chambre écouter les histoires que lui racontera cette femme exceptionnellement séduisante ... La fille illégitime de Krishna s'est fait enlever par Suryakantay le serviteur cupide de Ravana, le roi-démon qui se fait actuellement passer pour un riche marchand. Krishna veut sauver sa fille avant le jour propice qui aura lieu dans un mois lorsque la prochaine lune se lèvera sur la dune. Krishna aurait voulu déclencher une guerre opposant l'armée des dieux et des démons comme au bon vieux temps, mais aujourd'hui c'est devenu impossible. Les Britanniques viennent d'établir leur domination en Inde et les gens veulent dorénavant se comporter comme eux et ne croient plus plus trop aux miracles et aux contes. Krishna se mit à la recherche d'un héros humain et le sort désigna Farhad Kamal, âge : 16 ans, profession : voleur et escroc. Farhad n'a pas l'étoffe d'un héros, courageux et vaillant, mais il doit mener à bien sa mission en échange d'une meilleure incarnation dans une nouvelle vie. Il doit quitter sa ville de Madras, traverser l'Inde pour rejoindre le désert du Thar et libérer la princesse avant la date butoir. Son premier objectif est de trouver et libérer celui qui lui servira de monture, un tigre blanc qui parle avec ses yeux bleus et plus rapide qu'un nuage. Il devra également trouver la Pierre de Sang, une pierre rouge maléfique dont raffole le serviteur de Ravana et qui servira de monnaie d'échange au moment où Fahrad arrivera au palais où vit la princesse. Fahrad et Nitisch, le tigre sacré et créature des dieux, vont parcourir une grande partie de l'Inde à travers vent, eau et feu. Ils vivront de multiples et dangereuses épreuves et croiseront des obstacles qui leur referont substantivement ralentir leur cadence. Vont-ils arriver à temps ? Que Fahrad gagnera de son héroïsme ?


"La lune du tigre" nous plonge dans l'Inde mystique et mystérieuse. L'histoire contée par Safia à son eunuque s'imbriquera à la sienne et le secret qu'elle portera se dévoilera (mais pas son origine) tout comme sa relation avec Lalit évoluera. Fahrad plutôt voyou que héros gagnera en assurance, confiance et courage au fil de ses aventures, devenant moins égoïste et individualiste et bravant ses peurs. Le tigre apportera avec lui la sagesse et l'humour. Le lecteur est guidé à travers l'Inde coloniale, où les Britanniques sont le plus souvent dépeints comme des méchants, des envahisseurs, des tueurs de tigres et qui se rangeraient plutôt du côté des démons. Le lecteur sera surtout plongé dans les croyances populaires des indiens, qui se nourrissent de spiritualité et de contes mythologiques. Il voyagera à travers des villes mythiques : Madras, Gaya où se trouve l'arbre de l’illumination de Boudddha, Vanarasi, Jaipur, ... Il assistera à l'évasion de rats d'un temple, se fera arroser par la mousson, verra les corps brûlés sur les ghâts de Vanarasi, se brûlera les pieds dans le désert, affrontera une tempête de sables, verra plusieurs fois la mort ... Par contre, un passage que j'aurais bien modifié, est le passage où l'on retrouve Fahrad et le tigre dans une mosquée, lieu où ils trouveront réfugie à cause de la féroce mousson. Écrite ainsi je ne la trouve pas très sympathique pour le lieu qui les accueille. J'ai trouvé que le voyage à Fahrad et du tigre est souvent trop long et l'on a souvent envie qu'ils avancent plus vite car l'ennui s'installe sur de nombreuses pages. Heureusement à la dernière partie tout s’accélère enfin, peut-être presque trop vite et l'on pourrait presque rester mitigé sur le "happy-end", presque injuste. Le roman est décomposé en trois parties : le vent, l'eau et le feu. On y trouve quatre très beaux poèmes qui ajoutent au livre un côté fable. Le livre est à la base destinée aux enfants à partir de 13 ans, (dans la médiathèque que je fréquente je l'ai trouvé au rayon adultes), il convient parfaitement aux grands. Antonia Michaelis, l'auteur, écrit principalement des livres pour les enfants et l'on découvre de temps en temps ce monde enfantin et presque féérique même si à l'opposé d'autres passages sont loin de l'être. Elle essaye d'y reproduire la sagesse, la paix intérieure, la recherche de soi, le dépaysement, ... propre à l'Inde. De plus, ce roman reprend quelques bases de l'hindouisme et ceux qui ont du mal à retenir les avatars de Vishnu pourront trouver une façon mémo-technique de les retenir. Il y a tout de même du bon dans "La lune du tigre" car il est tout de même intéressant de découvrir une histoire de dieux et démon se déroulant dans un autre temps que les temps anciens. Il rappelle ainsi que même si les épopées sont anciennes, les dieux peuvent toujours apparaître peu importe l'époque. L'idée est bonne mais l'histoire est confuse et fait tourner quelquefois son lecteur en rond. L'auteur aurait sans doute dû faire un roman plus court pour sa première. Il reste malgré tout une bonne lecture. Un conte avec comme toile de fond, la chaotique et colorée Inde coloniale.





En Inde, il y a toutes sortes de prénoms qui veulent dire toutes sortes de choses. On les emploie souvent à tort et à travers. On m'appelle Safia, la Vertu. Mais je suis Shamim, le Feu. On voudrait que je sois Satya, la Vérité, Sadhana, la Vénération, Sarala, l'Honnêteté. Mais je suis Sandhya, le Crépuscule, Sanvali, le Clair-obscur, Sharvati, la Nuit. Je suis Shampa, l’Éclair. Shamali, celle qui vit sur l'arbre à soie. Shakuntala, celle qui fut élevée par les oiseaux. Et quand je parle de moi, je suis Raka, la pleine lune. C'est ce que j'étais dans le désert. Quand tu t'adresses à moi, appelle-moi Raka.
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Ils avaient apporté dans leurs bagages quelque chose qu'ils appelaient "le progrès". Cela signifiait que le pays se détachait de ses racines pour tourner son regard vers un futur incertain. Ceux qui voulaient être "modernes" essayaient de se comporter comme les Anglais. Et les Anglais menaient une vie bien réglée, bien cadrée, ponctuée par d'importants horaires. Les gens ne croyaient plus aux miracles et aux contes. Les dieux hindous étaient sur le déclin. Même s'ils n'aimaient pas se l'entendre dire.
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Un fusil plein de cartouches, un long tube en fer ! Tous les Britanniques en ont. Les fusils adorent tuer les tigres. Leurs langues de poudre lèchent nos babines ; leurs dents de plomb se plantent dans nos coeurs ; leurs griffes de feu nous arrachent les yeux. Ils lacèrent nos muscles puissants et éclaboussent notre pelage avec notre propre sang. Ils s'enfoncent dans nos entrailles et fourragent dans nos têtes qui abritent nos pensées les plus secrètes.
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Dès qu'il touchait ses doigts, les siens devenaient brûlants. Il était en nage. ça devait être à cause de la chaleur des vents du désert. C'est du moins ce qu'il crut tout d'abord. Mais le vent qui soufflait était trop frais. Le fait est que Lalit s'identifiait beaucoup trop à Fahrad. Ce dernier était lui aussi en passe de tomber amoureux. Mais les chemins de l'amour, quels qu'ils soient, sont semés d'embûches. Ils sont dangereux, cahotants, sinueux et mal pavés. Et nombreux sont ceux sur lesquels on se fourvoie trop facilement.
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Une histoire compliquée mais merveilleuse. Une aventure haute en couleurs, pareille à celles qui nourrissent les rêves des pauvres gens dans les modestes maisons de Varanasi. Un conte dont on souhaiterait qu'il n'en fût pas un.
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Au gré du vents, ils avaient traversé l'Allahabad, cette région où les trois grands fleuves, le Gange, la Yamuna et le Sarasvati, confluent en un lieu trois fois saint. Dans les nuages, ils avaient survolé les dômes de l'ancienne forteresse de Gwalior qui, au souvenir de sa splendeur passée, regardait d'un air maussade la ville en contrebas, où les Anglais régnaient désormais en maîtres.
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La lune du tigre

De Antonia Michaelis

Titre original : Tigermond

Traduction de l'allemand par Brigitte Déchin

Illustration de couverture : Joëlle Jolivet

Éditions "Les Grandes Personnes" - Date de parution : 26 mars 2015 - ISBN : 9782361933135 - 405 pages - Prix éditeur : 17,50 €


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