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"La Danseuse du Temple" de John Speed

Il n'y a pas d'autre endroit comme celui-ci à des kilomètres à la ronde. Peut-être à Kashi, près du Gange, ou sur les rives du lac de Pushkar et au confluent des rivières à Nasik, ou encore à Puri et à Kanyakumari, qui est mon pays. Ici comme là-bas, le vieil Hindoustan survit encore. Comme une fleur fragile que j'entretiens ici par ma volonté. Vous me comprenez ?



1658 Lucinda Dasana, une jeune femme portugaise, est restée vivre dans la demeure familiale de Goa malgré le décès de son père l'année précédente. C'est dorénavant son oncle Carlos qui gère les biens de la famille. Lucinda n'est pas au courant des affaires familiales et n'a donc pas conscience que les Dasana sont au bord de la ruine car  ils ne peuvent plus commercer depuis que les hollandais ont gagné les guerres du poivre. Mais Carlos Dasana a une dernière carte à jouer, il doit obtenir les faveurs du grand vizir Wali Khan, qui pourrait devenir le futur régent du sultanat de Bijapur car l'héritier au sultanat n'a que neuf ans. Si le grand vizir devient régent, il pourra concéder un monopole commercial de huit ans à Bijapur et ainsi les caisses de la famille Dasana pourront à nouveau être renflouées. Pour avoir les faveurs du vizir, Carlos Dasana a donc décidé d'offrir au vizir une jeune danseuse de temple, une devadasi, devenue récemment  une bayadère, une danseuse de Natche, la plus belle hétaïre qui n'ait jamais existé. Pour conduire ce cadeau précieux de Goa à Bijapur, Carlos a fait appel à son neveu Geraldo qu'il vient de sortir de la mauvaise passe en le faisant venir de Macao. Il fera également appel à Gama, un homme d'environ cinquante ans qui n'avait jamais quitté l'Hindoustan depuis qu'il y est arrivé il y a près de vingt-cinq, vingt-sept ans. Gama est réputé être le meilleur conciliateur de l'Hindoustan. Sera également du convoi, le bourak de Bijapur du nom de Pathan, conciliateur pour le compte du vizir, qui sera le responsable de la sécurité du cortège. Lucinda se greffera en dernière minute au convoi mais elle apprendra à ses dépens la raison exacte de ce voyage qui la fera quitter Goa pour toujours. Malgré les précautions prises par Gama et Pathan, la traversée des Ghats pour se rendre à Bijapur se révèlera être un parcours du combattant semé d'embûches et rien ne se déroulera comme prévu.



"La danseuse du temple" est un roman d'aventure qui nous transporte au milieu du 17ème siècle. Ce premier volume d'une trilogie - la seconde partie "Tiger Claws" n'étant pas traduite en français et le troisième n'étant jamais paru - fait partie d'un récit épique reprenant "l'histoire des dernières années de l'Empire moghol et de la montée des Marathes, sous la houlette du bandit de grand chemin Shivaji". Historiquement, 1658 est une année importante. Aurangzeb, vice-roi du Dekkan depuis 1636 et fils de Shah Jhan emprisonne son père dans le fort rouge d'Agra et prend le pouvoir. Dans "La danseuse du temple" nous découvrons ce qu'il se passe en arrière-plan notamment les conspirations qui ébranlent tout l'empire. Des conspirations qui ont lieu pourtant bien loin d'Agra, à titre d'exemple, ce roman qui se déroule entre Goa et Bijapur, une ville de l' État du Karnataka, dans le Sud du pays. Pour écrire "La danseuse du temple", son auteur John Speed, pseudonyme d'un célèbre journaliste américain qui avait sans doute adopté le nom d'un célèbre historien et cartographe anglais du XVIème siècle, a mené une véritable enquête pour restituer les faits qui se sont déroulés à cette époque, en accordant une importance à chaque détail. "La danseuse du temple" est un roman très intéressant, où les personnages sont issus de toutes les classes sociales, de toutes communautés et de toutes les religions et même de tous les genres. Ces différences sont souvent analysées par les personnages et même débattues entre eux. John Speed nous fait découvrir à travers le personnage de Maya, une jeune femme dont sa "profession" est danseuse de temple. Être "devadasi" c'est l'apprentissage et la connaissance des textes sacrés : la Bhagavad-Gita mais surtout du "Natya-shaastra", le livre de la danse et du "Kama-sutra", le livre de l'amour. La "formation" au temple consistant à que la journée elle danse pour le dieu et le soir, être en congrès avec sadhous, c'est-à-dire s'unir à eux. Lorsqu'on apprend à connaître Maya, Maya qui s'appelait "Prabha", "lumière" est devenue une esclave, une marchandise, qui passe de main en main. Maya rêve pourtant d'une autre vie mais il faut se rendre à l'évidence, comment changer de vie lorsqu'on est étiquetée. Pour Lucinda, la vie avait été tout autre. Choyée depuis son enfance, ayant vécu dans une cage dorée, avec ce voyage vers Bijapur, Lucinda découvrira le monde et son monde d'avant se refermera.


Elle ne sera plus ce qu'elle avait été, elle sera dans ce nouveau monde la farang, l'étrangère et sera confrontée à la cruauté de la vie. Elle grandira d'un coup, découvrira de nouvelles émotions et devra faire le choix de son avenir. À travers les personnages de Babouche, Sourire et Murmure, nous découvrons le monde des eunuques et leur Confrérie, des hijars, et les "différentes sortes d'eunuques", catégorisés selon ce qui est arrivés à leurs bijoux de famille. On y croise des eunuques puissants, des eunuques calculateurs, des eunuques serviteurs et gardes. Il reste d'autres personnages intéressants : Gama, le mystérieux Pathan, Geraldo, dame Chitra, Shivaji et bien d'autres. Certains de ces personnages seront suivis tout le long du roman et se dévoileront. D'autres sont des personnages furtifs mais apporteront un tournant au récit. La cupidité, la politique, l'engagement, le courage, l'amour et l'intolérance s'y entremêlent pour former une tapisserie indienne vibrante. "La danseuse du temple" est un magnifique roman d'aventures et historique avec un soupçon de romanesque. Il comporte tous les ingrédients qui font de lieu un grand roman : action, suspens, intrigue, ... Il offre une véritable immersion à cette époque et nous offre un très intéressant cours d'histoire. John Speed a étudié cette période et nous la fait découvrir à travers cette fiction-réalité qui paraît très réaliste. Ce roman m'a rappelé ceux d'Indu Sundaresan qui avait été écrit sur cette même époque mais autour des grands personnages de la Cour Moghole. C'est un roman très prenant même si le seul regret et ne pas connaître la suite. Je vous conseille tout de même sa lecture, si vous aimez l'histoire ou même si vous intéressez par la danse "classique" indienne et la version "ancienne" du bharatanatyam telle qu'elle aurait pu être.


La ville de Belgaum était une véritable ruche. Il y avait des gens partout, dans les rues, les échoppes, les embrasures de porte, les passages, aux fenêtres. Les cris des boutiquiers et les rires des enfants résonnaient dans ses oreilles habituées au silence. Au lieu du parfum des fleurs et de l'encens flottait une lourde odeur d'épices et d'égouts, d'animaux vivants ou abattus, de sueur, de poussière, de légumes pourris. A un certain moment, une vielle vache grise arriva derrière elle et la poussa de son museau. Si Pathan n'avait pas été à côté d'elle, peut-être aurait-elle été prise de panique. Il conservait sa démarche élégante et majestueuse, répondait aux regards par un hochement de tête hautain.



 

La Danseuse du Temple de John Speed

Titre original : The Temple Dancer

Traduit par Thierry Piélat

Éditions Presse de la Cité - Parution le 15 mars 2007 - ISBN :  978-2258069657 - 432 pages - Prix éditeur : 21,30 €


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