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"La Cité des djinns" de William Dalrymple

Delhi, me sembla-t-il d'abord, était plein de richesses et d'horreurs : c'était un labyrinthe, une ville de palais, un égout à ciel ouvert, une lumière filtrée par un écran ajouré, un horizon de dômes et de coupoles, une anarchie, une foule qui vous enserrait, des exhalaisons étouffantes, une bouffée d'épices.
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Mais qui sont ces djinns et quelle est leur cité ? Les djinns sont des créatures surnaturelles, souvent invisibles et quelquefois malins, témoins de l'histoire. Ils viennent souvent des tombes soufis pour errer en continu dans le dédale des ruelles de Delhi, particulièrement à Old Delhi, pour souffler à ses habitants et à ses visiteurs l'histoire de cette majestueuse et très ancienne Cité, capitale de plusieurs empires indiens. William Dalrymple les a entendus, s'est laissé guider et à ouvert son cœur à Delhi, son histoire, ses habitants d'hier et d'aujourd'hui. A travers ce magnifique récit, basé sur son deuxième séjour dans la capitale indienne où il y vécut une année, William Dalrymple a beaucoup plus que le rôle d'un guide pour une simple visite à travers la ville. Par sa curiosité et sa soif de connaissances, il a redonné à cette cité, des siècles d'histoire, informations glanées bien évidemment à Delhi mais aussi sur le Vieux Continent ou à Karachi au Pakistan. Il redonnera vie à des témoins du passé ayant vécu au temps de grandes pages de l'histoire. Le Moyen-Orient Oriental, où régna le terrifiant Tughluk et un grand voyageur du nom de Ibn Battuta sillonnait l'Asie. La fin du règne de l'Empire des Moghols, Shah Jhan quelques temps après le décès de son épouse Mumtaz Mahal qui redonnera à Delhi son statut de Capitale de son empire, sa déchéance par son fils Aurangzeb, le règne de ce dernier qui engendra le déclin de l'Empire et de Delhi.

Le Crépuscule s'inscrivant entre deux des plus grands désastres de l'histoire de Delhi où il nous apprendra à découvrir un des premiers "Résidants" Sir Ochterlony, ouvert d'esprit et quelque peu excentrique. Mais le plus grand personnage de cette époque est sans conteste William Fraser l’Écossais, amateur du sanskrit, des poèmes perses et des ruines de Delhi. Ce dernier a laissé un héritage inestimable de l'histoire de la ville. Delhi au temps du Raj Britannique avec la création de New Delhi par Lutyens et la rencontre d'Anglaises ou d'indo-anglaises par William Dalrymple, des femmes très nostalgiques de ce passé. Il s’intéressera bien évidemment de l'histoire "moderne" de l'Inde et de la ville : la Partition et les affrontements ayant eut lieu en 1984 après l'assassinat d'Indira Gandhi et trouvera des rescapés de ces évènements sanglants entre communautés. Des témoignages presque surréalistes car la ville a régné dans une extrême violence. William Dalrymple côtoiera et croisera la route de tout un panel qui fait la diversité culturelle de Delhi : sa logeuse sikhe, la société de taxi à qui il fera appel durant son séjour également des sikhs, les fonctionnaires indiens, les ennuques, un historien spécialiste de la Perse et de l'Empire Moghol, les descendantes d'une grande dynastie, des soufis et des derviches, des pèlerins, ...

William Dalrymple a su faire avec brio, une parfaite chorégraphie dans son récit. Il nous décrit ses expériences à Delhi au fil des saisons et des fêtes indiennes, envoie son lecteur dans le passé avec quelquefois des extraits d'écrit des témoins du passé, partage des anecdotes (rencontre ou situation), ... Il est important de souligner que chaque chapitre est parfaitement dosé, ni trop long, ni trop court et qui satisfait l'appétit et la curiosité de son lecteur. Pour les plus gourmands (comme moi), une bibliographie complète se trouve en fin d'ouvrage. Pour accompagner le lecteur, l'ouvrage est complété par une carte de Delhi dessinée par l'épouse de William Dalrymple qui a vécut et donc partager avec son mari cette installation à Delhi. Le lecteur trouvera également un glossaire traduisant les mots difficile. Des petites annotations ont été rajoutées dans cette nouvelle publication en bas de page, la source de l'extrait, des précisions à connaître et des informations récentes. Enfin, l'ouvrage possède un index, idéal pour les lecteurs qui souhaitent relire certains passages ou pour ceux à la recherche de renseignements sur Delhi. William Dalrymple dresse à travers "La Cité des Djinns", un portait de Delhi à la fin des années 80 et nous révèle les nombreuses transformations ayant eut lieu dans la Cité entre ses différents séjours espacés de même pas une décennie. Il nous dévoilera les faces cachées de la ville, les quartiers autrefois somptueux et laisser à l'abandon, les ruines redressées et retombées de nombreuses fois, les anciennes places fortes de Delhi, la naissance de la nouvelle Delhi, la recherche d'identité des Delhi-wallahs (habitants de Delhi) et les stigmates de son passé.


La question en refermant le livre : Que reste-t-il en ce début du XXIème siècle du Delhi de "La Cité des Djinns" de William Dalrymple, écrit alors que l'Inde soufflait sa quatrième décennies d'Indépendance et que la ville s'écroulait déjà sur elle-même ? L'avenir nous le dira". Revenir physiquement sur les traces de ce livre sans doute. S'engouffrer dans les ruelles de Shahjhanabad, retrouver les vestiges des havelis recroquevillées derrière d'étroits passages et monter sur les toits de Delhi. Retrouver les ruines de Lal Kot, Siri, Tughlukabad, Jahanpanah, Haus Khaz, Daulabad, Qutub Minar et les autres. Plus qu'un récit de voyage, une grande découverte des secrets de Delhi, historique et mystique.



La capitale indienne, jadis dernier bastion de la vierge chaperonnée, de la chambre fermée à double tour et du mariage arrangé se remplissait peu à peu d'amoureux : chuchotants, rougissants, parfois main dans la main, ils musardaient sous les arbres en fleur comme les personnages d'une miniature. Delhi se déboutonnait. Après le long crépuscule victorien, le sari commençait à lui glisser des épaules.
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En plus, ils ont toujours eu le sentiment que la prophétie - quiconque bâtit une nouvelle ville à Delhi est condamné à la perdre - se réaliserait. Si quelqu'un abordait le sujet, mon père citait la strophe persane de sa voix la plus sombre. Et bien sûr, elle s'est réalisée. Tous ceux qui ont fondé une ville nouvelle à Delhi l'ont perdue : les frères Pandava, Prithvi Raj Chauhan, Feroz Shah Tughluk, Shah Jhan ... Tous ils ont créé leur ville et tous l'ont perdue. Nous n'avons pas fait exception.
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Les régimes autoritaires laissent souvent les souvenirs les plus forts ; l'art a une étrange manière de s'épanouir sous l'autocratie. Seule la vanité d'un empire - un empire émancipé des contraintes démocratiques, totalement certain de son propre jugement et toujours assuré, quoi qu'il arrive de sa propre supériorité - a pu produire le Delhi de Lutyens.
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Delhi 1911 - Lutyens - Coronation

L'air est gris, le ciel est gris et cette grisaille morte et froide pénètre le sol, les pierres et les maisons. Seules les bannières de soie rouge et jaune qui flottent sur les nouvelles tombes musulmanes de Nizamuddin donnent encore un peu de couleur. Les arbres, dans les jardins, sont enveloppés d'un linceul de brume. Dans la Vieille Ville, les chèvres qu'on engraisse pour l'abattoir se serrent sous les couvertures de jute ; certaines portes de vieux cardigans, les pattes avant passées dans les manches.
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Delhi n'était sans doute pas très différent de la cité insalubre, grandiose mais croulante, décrite par Forbes et Franklin, mais malgré cette dégradation, William tomba bientôt sous le charme. L'isolement de la ville ne pouvait que sembler familier à un homme éduqué dans l'Inverness du XVIIIème siècle, et ses liens avec l'histoire et la littérature durent attirer l'orientaliste distingué.
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Le porche moghol donnait sur une cour pavée déserte, un élève en retard courait rejoindre sa classe. Les dalles étaient glissantes et si usées par trois siècles de passage qu'à certains endroits les flaques se transformaient en petits canaux. La cour était bordée par un cloître à deux étages. Les classes occupaient le rez-de-chaussée ; au premier étage, le long d'un balcon voûté se trouvaient les loges des professeurs et des chercheurs.
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Dans l'une d'elles, installée sur un châlit, se tenait la doyenne des descendants de Gengis Khan, de Tamerlan, de Babur et de Shah Jahan. Elle était paralysée depuis trente ans et pendant toutes ces années, ce sommier avait été son trône. A ses pieds, deux oies picoraient du grain.
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Puis, brusquement isolée, à peine de l'abîme de la préhistoire, l'antique Delhi est spectaculairement illuminé comme par les derniers rayons d'un soleil couchant. Cet éclairage provient de l'une des plus grandes œuvres de la littérature qui soit jamais née dans le sous-continent indien : le grand poème épique du Mahabharata.
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La Cité des djinns

De William Dalrymple

Titre original : City of Djinns

Traduit de l'anglais par Nathalie Trouveroy - Photographies de Agnès Montanari

Éditions Libretto - Date de parution : 29 janvier 2015 - 512 pages - ISBN : 978-2369141938 - Prix éditeur : 11,80 €

Ancienne parution sous le nom de "La Cité des djinns, une année à Delhi", parution du 18 mai 2006 aux Éditions Noir sur Blanc

Récompenses : Thomas Cook Travel Book Award (1994) et Sunday Times Youg Writer of the Year Award (1994)



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