Tandis que les eaux en crue ravageaient Hyderabad, une petite fille, Alys, naissait en France, en Alsace, dans le lointain Mulhouse ; une enfant aux grands yeux bleus, destinée à venir à Hyderabad et à apprendre à aimer son peuple chaleureux. Son histoire est liée à celle des Ali et de leur famille et à celle de sa quête pour quelque vérité plus profonde, qu'elle recherchera auprès de saints personnages, hommes ou femmes, dans les ashrams et auprès de tous ceux qu'elle rencontrera. C'est aussi l'histoire d'Hyderabad que j'écris.
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Alys, de son vrai nom Alice, est née en 1908 à Mulhouse en Alsace de parents franco-allemand et elle y a passé son enfance. Elle a connu l'annexion de l'Alsace par l'Allemagne et après la Première Guerre Mondiale, ses parents ont quitté la région pour ouvrir un nouvel hôtel à Paris. Alys a fait deux cures en Suisse pour des maladies graves ; tuberculose, typhoïde et échappera de justesse à une amputation du pied. Elle y fera également ses études dans un établissement scolaire international où se côtoyait des jeunes filles d'une dizaine de nationalités. C'est à l'hôtel de ses parents, à deux pas de l'Arc de Triomphe, qu'Alys rencontra son futur époux Ali Yar Khan par le biais de fidèles résidents indiens de l'hôtel. Alys se maria avec Ali une veille de Noël, ils vécurent à Paris quelques temps dans un appartement de l'hôtel familial avant de se rendre en 1927 à Hyderabad (Sud-est de l'Inde). Mais Hyderabad avait déjà commencé une mutation lors de l'absence d'Ali, ville qu'il avait quitté pour étudier en Angleterre et à Paris. Ali Yar Khan fait partie d'une famille bourgeoise d'Hyderabad, ses ancêtres venus de Perse, une lignée directe du Prophète, ont connu la Cour Moghole de Delhi durant le règne des empereurs Humayun, Shah Jhan et Aurangzeb, pour ne citer que trois. Durant des générations, tour à tour, ils ont eut un rôle majeur et politique auprès des différents Nizams ou Nawabs qui se sont succédé à Hyderabad. Le grand-père d'Ali, Imad-Ul-Mulk a lui même été Nawab, connaissant pas moins de sept langues, était une personne aimé et respecté même par les Britanniques et a été un personnage centrale pour nombre de décisions à Hyderabad. La vie d'Alys dans son nouveau pays et sa nouvelle ville, était relativement paisible, vivant de l'amour de son époux et de ses enfants. Mais l'anxiété la rongea de l'intérieur et sa santé resta très fragile. Après avoir commencé à fréquenter l'ashram de Sri Aurobindo à Pondichéry où elle se ressourcera auprès de la Mère, elle quittera Ali Yar Khan et épousera Ali Hydari, fils d'une grande famille de la ville, son père avait été Premier Ministre de l’État. Sa dévotion auprès de l'ashram n'arrivera pourtant pas à atténuer sa dépression. Pour son nouveau mari, sorti de l'alcoolisme grâce à sa rencontre avec Alys et ses visites à l'ashram ; un nouveau problème le gagnera, venant des violentes douleurs toujours de plus en plus fortes qui l'assaillirons depuis un accident de la route et qui le rendront dépendant aux traitements. D'après ce récit, Alys était une personne d'une grande compassion et qui a aidé de nombreuses personnes dans le besoin. Sa réalisation la plus notable était la sauvegarde de l'artisanat Nirmal, un artisanat qui demande un savoir-faire spécifique notamment lors de l'étape de la peinture. Alys contribua personnellement à faire connaître cet artisanat et y consacra beaucoup de son temps. Elle goûtera également à la vie à la campagne indienne, à travers une ferme qu'elle aura acheté avec son héritage français, qui permettront à elle et à sa famille de subvenir à des besoins lors des périodes de vaches maigres mais surtout à se ressourcer aux choses simples de la vie. Le lecteur découvrira également Hyderabad avant l'Indépendance, une région féodale quasiment idyllique, où les religions se toléraient et vivaient en quasi-harmonie. Les Niwabs sont décrits comme des rois généreux et par les nombreuses associations qu'ils avaient créés, les pauvres n'étaient pas des laisser pour compte. La bourgeoisie y vivaient a priori une vie paisible ponctuée par des cérémonies, des sorties, la chasse, des parties de polo ... Mais l'après-Indépendance donnera un coup fatal à Hyderabad, tant aux personnages importants dont certains se retrouveront à la limite de la pauvreté, mais également au charme qui faisait la grandeur d'Hyderabad, ses palais et ses jardins disparaitront sous la coulée du béton.
A pars le premier et dernier chapitre, le récit est narratif et écrit à la première personne. Bilkees Latif a écrit ce roman comme s'il a été dicté par sa mère. De nombreuses anecdotes et des extraits glanés sur de vielles coupures de presse animent le récit, quelques fois sur des évènements qui s'étaient déroulés avant son arrivée à Hyderabad, comme par exemple la visite du Prince d'Angleterre. L'expérience et la vie d'Alys occupent une très petite partie du livre. Le récit traite principalement de faits historiques, de personnages, notamment des intellectuels ou des personnages politiques, qui ont croisé sa route, ou de leurs ascendants. Souvent Alys commence à nous raconter un récit issu de sa propre expérience mais qui est très vite oublié par la description des personnages, leurs ancêtres, leur statut dans la gestion de la ville ou de la Colonie. Le lecteur pourra être frappé la grande dévotion qui anime Alys, le catholicisme sa religion de naissance, l’islamisme la religion de ses époux et de Hyderabad, l'hindouisme la religion de son nouveau pays mais aussi l'ésotérisme : les djinns, les mauvais esprits, les sorts, aux médecines parallèles ... Elle croyait que rien n'arrivait par hasard. Le récit est quelques fois très difficile à lire, manquant quelque peu de structure et provenant surement du fait de sa trop grande profusion de personnages, qui, pour ne rien arranger, possèdent tous des noms à très grande ressemblance. Il aurait été plus intéressant de découvrir plus profondément qui était réellement Alys, ses histoires à elle, ses expériences bonnes et mauvaises. Elle a connu l'Inde en pleine mutation, la fin d'une époque, celle de la colonisation britannique et la fin des pouvoirs des Nizams et Nawabs, l'Indépendance du pays et ses répercussions sur la ville d'Hyderabad, au fond très peu découvertes. Je m'attendais peut-être à retrouver un même style de récit que j'avais découvert en lisant celui de la dernière reine de Jaipur, la Maharani Gayatri Devi. Malgré tout, j'ai lu le livre en entier, et les derniers chapitres valent le coup d'être découvert. L'avant-dernier "l'horizon s'approche" peut être perçu comme le dernier appel d'Alys et j'ai trouvé qu'il est chargé en émotion, mais également en douleur qui ne sont pas affaiblis avec le temps, bien au contraire. Le dernier chapitre, l'épilogue, Alys est relayée par sa fille, l'auteure. Un fabuleux hommage à sa mère, son père et beau-père et ancêtres qui est très poignant et ouvrant une image plus nette d'Alys. Il donne, je trouve, l'envie ou peut-être la frustration de pas réussi à connaître vraiment Alys. Mais au fond, le savait-elle, car sa vie n'a été qu'une longue partie de recherche intérieure.
J'éprouvais déjà le sentiment d'appartenir à ce pays, cette famille qui m'avait accueillie avec tant de chaleur et d'affection. Ils faisaient partie de mon cœur, cette terre de tant de religions et de peuples - des Nizams et des Nawabs, de solides paysans et ouvriers, d'artistes doués avec qui je devais plus tard collaborer, terre qui m'apporta tant de joie et de peine -, terre de toutes les traditions et les coutumes auxquelles j'appris à me conformer au fur et à mesure que j'adoptais la façon des Begums d'Hyderabad.
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A Hyderabad, il n'y avait pas de conflits intercommunautaires. Chacun pratiquait sa propre religion, souvent avec zèle ; les membres des différentes communautés vivaient ensemble et collaboraient sans aucune autre difficulté d'ordre religieux. Le sentiment d'appartenir au groupe mulki unissait la population locale. Il créait un lien entre ceux qu'irritait le pouvoir bureaucratique croissant des anglais.
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Nous avons maintenant tellement mêlé nos cultures que chacun de nous a adopté les coutumes, les façons, les goûts les uns des autres, de sorte que dans la boutique du bijoutier où nous nous asseyons souvent auprès des gens de notre connaissance règne une ambiance harmonieuse de plaisir partagé et de compréhension réciproque ...
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Shah Manzil, résidence du Premier Ministre, que Sir Akbar fit construire, dominait un parc face au lac d'Hosainsagar bordé de champs où passaient nos buffles. Aujourd'hui se dresse à la place un vilain bloc de ciment pareil à une boîte d'allumettes. Il détruit la beauté du paysage comme tant d'architectures hideuses conçues par de médiocres constructeurs qui ignorent l'harmonie dans la simplicité des lignes, mise en honneur par les temps modernes. Trop souvent ces blocs surchargés d'enjolivures aux couleurs pâtissières, fraise écrasée, vert peppermint, bleu électrique, offensent le regard.
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Quelle est la réponse quand on commence à prendre trop de recul ? N'est-il pas temps de s'en aller quand son destin est accompli ? Lorsque au milieu d'une foule on se sent absolument seul, lorsqu'on cherche à se tenir à l'écart et en même temps à se rapprocher de ceux qu'on aime ; collaborer avec eux, voyager en leur compagnie ou simplement jouir de leur présence reste notre plus profond désir.
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L'Inde où vécut ma Mère
De Bilkees Latif
Titre original : "Her India, the fragrance of forgotten years"
Traduit de l'anglais par Annette Eon-Frémont - Préface de Jeannine Auboyer (ancien conservateur en Chef Honoraire du Musée Guimet)
Éditions des Femmes - Date de parution : 10 avril 1987 - ISBN : 978-2721003157 - 343 pages - Prix éditeur : 21,50 €
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