Dehors était la liberté. Dehors était la vie à laquelle il choisissait d'appartenir – la vie des grillons sautant dans l'herbe, des oiseaux évoluant au loin dans la vallée ou s'élevant au-dessus des montagnes et des animaux invisibles dans les fourrés, ne trahissant parfois leur présence que par un bruissement ou une brusque succession de cris ou d'appels précipités ; des plantes obéissant à leurs propres nécessités végétales, presque imperceptiblement, apparemment inertes mais mystérieusement liées aux changements et aux mouvements de la terre.
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"L'art de l'effacement" d'Anita Desai est un recueil de trois belles nouvelles. Anita Desai est une romancière indienne d'expression anglaise très connue et avec une importante bibliographie ("Le jeûne et le festin", "Où irons-nous cet été", "Le Bombay de Baumgartner", etc.)
Ce recueil est composé de :
"Le musée des ultimes voyages" Débutant dans l'auguste fonction publique, c'est presque par fatalité que ce jeune homme accepte son poste dans un tribunal au fin fond de nulle part à gérer des affaires peu intéressantes, autant que sa vie sociale quasi-inexistante. Pourtant un jour, un homme âgé, serviteur dans un domaine du district aujourd'hui à l'abandon, vient lui rendre visite. Il est le gardien, malgré lui, de la magnificence de ce qui reste en ces lieux mais surtout des trésors du monde que compose le musée qui vit en son sein.
"La traductrice" Prema vient de retrouver une connaissance de sa jeunesse lors d'une réunion d'anciennes élèves dans leur collège. Il s'agit de Tara, qui a été au centre de toutes les attentions au collège, et qui a embrassé une magnifique carrière dans le journalisme avant d'ouvrir la première maison d'édition féministe du pays. Prema s'est toujours sentie gauche à côté de cette femme dont elle a suivi la carrière dans les journaux, et même sa profession de professeur lui fait presque honte. Tara envisage de créer une nouvelle collection où seront publiés des auteurs bien connus dans leur propre région mais inconnus ailleurs en Inde. Découvrant un ouvrage de Survarna Devi en langue l'oriya dans le sac à Prema, Tara lui propose cette traduction. Commence alors pour Prema, l'activité de traductrice d'oriya en langue anglaise. Mais quelles sont les limites du travail de traductrice ? "L'art de l'effacement" Dans un vallon près de la ville de Mussoorie se trouve les restes de la maison à Ravi. Ravi y vit seul dans l'unique pièce épargnée de l'incendie qui avait dévasté la demeure familiale quelques années après le décès de ses parents. Ravi a toujours été un garçon curieux de la nature et son monde a toujours été sa colline et sa forêt, même lorsqu'il en a été éloigné des années durant. Dorénavant, seul au monde, il peut profiter à sa guise de l'environnement qui l'entoure, devenant presque pour certain un ermite. Mais des gens de Delhi venant pour tourner un documentaire vont déranger sa quiétude et le monde qu'il s'est construit.
"L'art de l'effacement" qui est à la fois le titre d'une nouvelle mais également le titre de ce recueil, résume parfaitement cet ouvrage. Il s'agit en effet de l'effacement de la mémoire et de ses souvenirs, à l'image de Ravi qui a eu une enfance difficile avec des parents absents et superficiels, de ce jeune fonctionnaire des tribunaux qui ne souvient plus exactement si le musée qu'il a vu dans cette maison était-il réel ou non, de cette traductrice qui ne sait plus à quel moment elle a donné une autre tournure au roman qu'elle avait à traduire. L'homme modifie ses souvenirs souvent inconsciemment, au point qu'il ne peut plus souvenir avec exactitude si les faits se sont réellement produits ou s'ils émanent du fruit de son imagination. En tous les cas, les souvenirs ont un impact sur notre vie et notre façon d'appréhender les choses dans le futur. Ce recueil est très agréable à lire, on apprécie la justesse de ses détails et la profondeur de réflexion qu'il nous apporte. Les nouvelles d'Anita Desai sont une valeur sûre, elle a l'art de capter son lecteur, de faire voyager l'imaginaire tout en opposant des thèmes chers tels que l'oubli, la disparition, des souvenirs devenus incertains. Comme dans les autres écrits d'Anita Desai, on y retrouve une petite trace des villes Mussoorie et Mumbai si chères à l'auteur.
Il y avait là des illustrations, semblables à des joyaux de vie florale et aviaire, et on voyait de minuscules personnages lancés, sur des montures aux formes rebondies, à la poursuite de lions ou de gazelles, ou bien agenouillés devant des saints barbus dans des grottes de montagne. J'entrevis un couple de grues effectuant une parade nuptiale sur un tertre verdoyant, avant de passer à une jeune fille conversant avec son perroquet en cage et une autre écrivant une lettre à son bien-aimé lointain, puis à l'image d'un jeune homme épiant de derrière un arbre un groupe de jouvencelles se baignant dans une rivière, vêtues mais d'une manière transparente. Ici des éléphants, un howdah doré sur le dos, transportait des nobles vers un fort crénelé au sommet d'une colline, et là de menaçants nuages bleus apparaissaient, chassant les aigrettes blanches devant eux ; une jeune bayadère dansait dans une cour entourée de murs, un prince posait, une rose à la main, un autre montrait fièrement un faucon posé sur son poignet.
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Oui et oui. Comme il était facile de voir que ces mots convenaient mieux ici que les autres... Je me hâtai de continuer, de continuer pendant que durait ce sentiment de ce qui était approprié ou non, un instinct parfois fuyant qu'il fallait tâcher de maintenir à niveau suffisant de vigilance. Percevoir, reconnaître, choisir. Je n'étais que le conduit, le véhicule entre cette langue et ceci – mais c'était tout de même moi qui distinguais et choisissais, et j'étais la seule à pouvoir le faire, l'auteur elle-même ne l'aurait pas pu.
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L'art de l'effacement
De Anita Desai
Titre original : The Artist of Disappearance
Trois nouvelles traduits de l'anglais (Inde) par Jean-Pierre Aoustin
Éditions Mercure de France - Bibliothèque étrangère - Date de parution : 12 avril 2013 - ISBN : 978-2715233157 - 185 pages - Prix éditeur : 20,50 €
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