"J'entends ta voix" de Kim Young-ha đ°đ·
- VĂ©ronique Schauinger
- 27 sept. 2015
- 5 min de lecture
DerniĂšre mise Ă jour : 20 oct. 2023
Mais étrangement, ce fait passé lui donna une sensation d'avenir. Maintenant confondu avec une machine, il avait perdu la mesure du temps. La frontiÚre entre les certitudes du passé et l'inconnu du futur devenait floue, les évÚnements à venir prenaient l'allure d'expériences vécues, et les souvenirs semblaient des prophéties funestes.
page 84-85

Ă mi-chemin entre mythe, surnaturel, fiction et rĂ©alitĂ©, "J'entends ta voix" nous transporte Ă SĂ©oul auprĂšs de sa nouvelle gĂ©nĂ©ration en quĂȘte d'expĂ©riences et n'hĂ©sitant pas Ă braver les limites. JeĂŻ n'est pas nĂ© sous la bonne Ă©toile mais dans des toilettes d'une gare routiĂšre de SĂ©oul. Il a Ă©tĂ© tout d'abord enfant non dĂ©sirĂ© et Ă deux doigts d'ĂȘtre assassinĂ©, puis tour Ă tour bĂ©bĂ© volĂ©, enfant abandonnĂ©, enfant orphelin pour se terminer sur la case enfant des rues Ă quinze ans. JeĂŻ n'a jamais Ă©tĂ© un enfant comme un autre, petit, il pouvait communiquer avec son ami Dong-kyu plongĂ© dans un mutisme Ă rallonge. Lorsque la toute jeune vie de JeĂŻ Ă basculer, perdant Ă la fois sa mĂšre de substitution, ses repĂšres et son foyer, Ă©tait-ce un don ou une folie personne ne le sait, il pouvait ressentir les Ă©motions des autres, humains, animaux et objets mais aussi leur douleur. AprĂšs avoir vĂ©cu un temps dans un foyer pour enfants en dehors de SĂ©oul d'oĂč il s'enfuit pour retrouver la mĂ©gapole, JeĂŻ dĂ©couvrit le monde de la rue, mais surtout un monde inconnu. Un monde fait d'adolescents fuyant leur confort pour se livrer Ă des expĂ©riences sur une courte durĂ©e dans des logements sales et exigus oĂč rĂšgne prostitution, libertinage, alcool, drogue, violence gratuite, sĂ©questration, ... AprĂšs ces expĂ©riences quelquefois traumatisantes, JeĂŻ prĂ©fĂ©ra une vie d'ermite tel Siddhartha mais dans les quartiers de la capitale sud-corĂ©enne, se nourrissant de riz cru, mĂ©ditant et lisant les livres qu'il trouve dans les poubelles. Il commença alors Ă prĂȘcher la bonne parole Ă ces adolescents tout comme lui paumĂ©s et se retrouva trĂšs rapidement avec une horde dâadeptes. GrĂące Ă ses retrouvailles avec son copain d'enfance Dong-kyu et une amie des rues du nom de Mok-ran, JeĂŻ dĂ©couvrit la moto mais surtout ses rassemblements qui ont lieu en plein milieu de la nuit. Des rassemblements attirants principalement des adolescents roulant avec des motos trafiquĂ©es et sans casque, oĂč les courses permettent de franchir les limites et friser le danger. JeĂŻ, avec ses qualitĂ©s d'orateur et d'attirer le monde autour de lui, deviendra trĂšs rapidement le leader des jeunes motards de la ville. NaĂźtra une lĂ©gende et chaque lĂ©gende doit faire une sortie de scĂšne triomphale. "J'entends ta voix" a Ă©tĂ© pour moi la dĂ©couverte de KIM Young-Ha, qui a pourtant Ă©tĂ© publiĂ© un grand nombre de fois aux Ăditions Philippe Picquier. Ce roman m'a donnĂ© envie de connaĂźtre d'autres ouvrages de cet Ă©crivain corĂ©en mais Ă©galement la ville de SĂ©oul que j'ai commencĂ© Ă dĂ©couvrir Ă travers ces lignes. Une premiĂšre dĂ©couverte qui m'a totalement impressionnĂ© car Ă aucun moment je n'avais songĂ© Ă ce pays sous cet angle. Les prĂ©cĂ©dents romans pourront sans doute m'en apprendre davantage. Le roman "J'entends ta voix" est Ă©crit de maniĂšre assez original. Il est divisĂ© en plusieurs parties oĂč les narrateurs sont diffĂ©rents, comme si chacun apportait son tĂ©moignage Ă la vie de JeĂŻ. Parmi ces narrateurs, celui qui interviendra rĂ©guliĂšrement est l'ami d'enfance Ă JeĂŻ, Dong-kyu, tĂ©moin et comme nous le dĂ©couvrirons en fin de rĂ©cit, l'instigateur du roman. JeĂŻ ne sera Ă aucun moment le narrateur, donnant Ă son histoire une plus grande impression de mythe. Ă travers le roman, on y trouve de nombreux personnages qui ont croisĂ© la route de JeĂŻ dont on ne connait que leurs surnoms donnĂ©s selon leurs caractĂ©ristiques vestimentaires ou physiques. Seuls les personnages importants ont clairement un nom. Sans rĂ©vĂ©ler la derniĂšre partie du roman, j'ai trouvĂ© que la fin est trĂšs dĂ©routante car elle accentue de maniĂšre significative cette impression de lĂ©gende. Les derniers doutes que l'on pouvait avoir sur le fait que cette histoire est une fiction ou non est clairement mise en doute. Ne reste qu'Ă demander Ă l'auteur lui-mĂȘme s'il s'est inspirĂ© d'une histoire vraie ou s'il l'a imaginĂ© de toutes piĂšces. Durant ma lecture, j'ai songĂ© Ă une prĂ©cĂ©dente parution des Ăditions Philippe Picquier "Ătre jeune en Asie" oĂč y Ă©tait Ă©tudier la jeunesse indienne, chinoise et japonaise. Comment situerait-on ces jeunes corĂ©ens ? Des jeunes qui pourraient espĂ©rer Ă un bon avenir avec des parents ayant les moyens mais qui pourtant fuient leur foyer pour la rue. Certains trouveront des petits boulots dans des bars ou des restaurants par exemple au lieu d'aller Ă©tudier Ă l'universitĂ© et se construire un avenir fiable. Mais combien vivront les expĂ©riences dĂ©crites dans ce livre, presque suicidaires et qui pourraient avoir des consĂ©quences dramatiques sur leur futur et leur psychologie. Pour terminer, "J'entends ta voix" est un roman se lit trĂšs facilement. L'histoire est fluide et trĂšs prenante, peut-ĂȘtre un peu longue et confuse lorsque le narrateur est un policier. Comme je l'ai dĂ©jĂ soulignĂ© auparavant, l'histoire est quelque peu dĂ©routante certes, mais apporte nĂ©anmoins un trĂšs bon moment de lecture.
Maman maintenait la distance avec moi, comme un boxeur le fait de son adversaire au bout de son direct. Je n'ai aucun souvenir d'avoir été tendrement enlacé ou bien affectueusement caressé. Elle me traitait exactement comme un chien confié pour un temps par un voisin. J'étais l'invité indésirable qui tombe au mauvais endroit au mauvais moment. Il devenait chaque jour plus évident que personne ne voulait de moi. Pourtant, au fond, je sentais les mots enfler toujours davantage. Mais ma bouche restait close. Non, c'était au-dessus de mes forces. Jeï était mon seul soutien.
page 29
Jeï avait dessiné la carte du monde tel qu'il le vivait alors, réduit à la colline et au foyer pour enfants. Tout en bas se trouvait un petit village qui rassemblait les gamins, au-dessus un royaume de chiens féroces dominé par un souverain mauvais, et tout en haut, dans une grotte profonde, un univers de fées qui habitaient dans des champignons. Loin au-delà se situait un chùteau fleuri, sa patrie d'origine, à l'image d'un pays de cocagne décrit par les anciens.
page 71-72
- Et tu ne veux pas t'en libérer ? T'as pas envie de vivre tranquillement, toi aussi ? - Impossible. C'est mon destin. - Reprends-toi, t'es pas une machine ! Si tu as reçu la capacité de ressentir la souffrance, tu dois bien avoir aussi le moyen de la maßtriser. - Mais c'est Dieu qui est comme ça. C'est un sadique par dissymétrie. Il nous a donné le désir sexuel qui recommence sans fin, mais pas le moyen de le satisfaire aisément, il nous donne la mort, sans possibilité d'y échapper. Il nous laisse vivre, sans nous dire pourquoi on est nés.
page 149
Moteurs coupĂ©s, sans un mot, nous nous oubliĂąmes les uns les autres. C'est JeĂŻ qui reprit le premier : " Y a rien. - A part la mer, qu'est-ce que tu veux qu'il y ait Ă la mer ?" demanda Mok-ran, habituĂ©e Ă la voir chaque Ă©tĂ©, en CorĂ©e ou Ă l'Ă©tranger. Jeong-keun continua, comme pour se dĂ©fendre : "Faut dire que c'est pas encore la saison. Et puis y a plein de trucs dedans, des palourdes et tout." JeĂŻ avait d'emblĂ©e saisi l'Ă©trangetĂ© de son nĂ©ant. Il Ă©tait renvoyĂ© au passĂ© oĂč il existait pas encore et projetĂ© dans le futur oĂč il ne serait plus. Il Ă©prouva une sorte d'effroi. La mer lui avait rĂ©vĂ©lĂ© une image tangible du temps cosmique, sans commencement ni fin.
page 178
J'entends ta voix De KIM Young-Ha
Titre original : Noeui moksorika deulyo ëì ëȘ©ìëŠŹê° ë€ë €
Roman traduit du coréen par Kim Young-sook et Arnauld Le Brusque
Date de parution : 2 octobre 2015 Ăditions Philippe Picquier - Roman - ISBN : 978-2809711097 - 317 pages - Prix Ă©diteur : 19,50 âŹ
Comments