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"Il était minuit cinq à Bhopal" de Dominique Lapierre et Javier Moro

Il était minuit cinq à Bhopal le 3 décembre 1984, la cité des bégums était en en fête : mariages dans tous les coins de la ville, une mushaira (symposium poétique) sur la Place des Epices et dans quelques heures sera célébrée l'Ishtema qui rassemblait des milliers de pèlerins pour un grand conclave de prière. Mais à cette heure-là un nuage toxique de l'usine Carbide était entrain de couvrir la ville et tua tout ce qu'il trouva sur son passage ou blessant à vie des générations entières de ses habitants et des personnes qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment.  Avant ce malheur, les auteurs nous font découvrir à la fois la vie des quelques habitants de Bhopal et à la fois toute la chronologique de la lutte contre les insectes nuisibles, des savants et des chercheurs à la recherche d'un produit "miracle" contre le ravage des plantations sur le plan mondial à la catastrophe de l'usine de Bhopal. La Carbide est une société américaine ayant connu ses heures de gloire durant les guerres mondiales : à la première grâce à la fabrication de piles électriques et à la seconde pour la bombe atomique. Par la suite, le monde entier fonctionnait inconsciemment, sous l'effigie de la Carbide qui avait inondé le monde entier et pas seulement par les piles. En 1957, après 3 années de recherches et d'expériences, trois docteurs en entomologie mirent au point un puissant insecticide appelé "le Sevin" qui conquérira le monde. Dans la Kanhawa Valley, où plus tard des indiens auront des formations pour l'usine de Bhopal, où Carbide se vantait de ses brevets de bonne conduite et de sécurité pour ses usines, ils décidèrent pour une question de rentabilité de modifier le procédé de base du "Sevin" en faisant réagir deux autres gaz qui donnait de nouvelles molécules qui donnait de l'isocyanate de méthyle, qui sous ses initiales anglaises lui donnait le nom de MIC, un des composés les plus dangereux jamais conçus. J'insiste sur ce produit car ce MIC qui par sa fuite provoquera la catastrophe de Bhopal, par négligence humaine et surtout pour une histoire d'argent et de rentabilité. Quelques années plus tard, l'Inde est en pleine "Révolution Verte" et Carbide après avoir conquis l'Amérique du Sud recherche un nouveau lieu pour commercialiser son "Sevin" et y construire une nouvelle usine. L'Inde est un candidat idéal et  représente un marché gigantesque au vue de sa superficie et du nombre de ses paysans, le "Sevin" pourra avoir un très grand succès. Le lieu de l’implantation de l'usine qui sera choisi sera Bhopal qui correspond à tous les critères et justement où au nord de la ville sur "l'esplanade noire" juste à côté d'un bidonville divisé en trois zones (selon l'origine de ses habitants) un espace est libre. Bien sûr, lors des différentes études, de nombreux points sur la sécurité des habitants de Bhopal et du bidonville seront évités d'être traités (comme le courant des vents), de plus la quantité autorisée par le gouvernement de New Delhi qui autorisait à l'Union Carbide une licence annuelle de 5.000 était exorbitant. Mais l'usine sortira de terre, commencera tout d'abord à additionner du Sevin à du sable ou de la poudre de gypse avant de produire entièrement le produit. L'usine embauchera de nombreux coolies (ouvriers), mais l'usine deviendra vite un gouffre financier car l'agriculture indienne est capricieuse car elle se fait selon l'arrivée de la mousson et les années de sécheresse, le "Sevin" inutile n'aura pas atteint ses objectifs de ventes, loin de là. L'usine sera peu à peu "abandonnée", des licenciements et surtout des manquements à la sécurité en remplaçant les pièces usées par des pièces moins chères mais pas adaptées à l'industrie chimique, des ouvriers mutés à d'autres postes où ils n'auront reçu aucune formation, de nouveaux dirigeants qui auront avant tout le nez sur la calculatrice et éviteront des maintenances sur les cuves pourtant obligatoires question sécurité. Avec ces manquements, pas étonnant, que la ville de Bhopal courrait tout droit à la catastrophe, mais malgré des personnes ayant senti le danger comme un journaliste, de nombreuses personnes fermeront les yeux et  les autres, les habitants de Bhopal n'ont aucune idée de ce que représente cette usine et les risques (même si des signes avant coureur comme la mort de vaches auraient pu les rendre méfiants). Dans le bidonville à côté de l'usine, et plus précisément à Orya Basti (orya la langue de l'Orissa et basti quartier pauvre construit de bric et de broc). On découvrira de nombreux personnages : la famille Radna Nadar exilés de Mudilapa dont on suivra surtout l'histoire de Padmini qui aura fait le nécessaire pour ramener quelques roupies à sa famille : balayeuse dans les trains, aide-infirmière de sœur Felicity. Durant les festivités de sa noce a eut lieu la catastrophe de Bhopal. On apprendra à connaître et même à s'attacher à différents autres personnages : Ganga Ram rescapé de la lèpre, sa femme infirme des jambes Dalima et leur fils adoptif Dilip ; Belram Mukkadam le doyen du bidonville qui indiqua aux à chaque arrivée d'exilés par un tracé au baton le terrain où bâtir leur hutte, il tenait également le "Tea House" et fervent défenseur du bidonville contre ceux qui voulaient le faire disparaître ; Prema Bai la sage-femme du quartier ; Pulpul Singh usurier du bidonville (exploitant de la misère) et propriétaire du "tea house" en face de l'entrée de Orya Basti ; Sœur Felicity religieuse missionnaire qui s'occupait des miséreux et des malades ; Rahul "le cul-de-jatte" se déplaçant sur une planche à roulette au ras du sol toujours aux nouvelles de ce qu'il se déroulait dans le bidonville ; ... Les auteurs ont mené une grande enquête sur ce tragique accident industriel dont les effets ont de quoi vous faire refroidir et vous prendre conscience des vrais risques liés si une catastrophe nous parvenait d'une usine chimique (l'hécatombe s'étant poursuivie bien après le passage du nuage toxique dont on ne parle pas malheureusement pas des effets et des conséquences autour de la ville de Bhopa après la tragédie). Les auteurs ont fait de grandes recherches pour nous faire découvrir qui était Carbide : son histoire, les grandes figures, les recherches, l'exploitation du produit, la recherche de rentabilité, la vente à travers le monde, les risques, les répercussions de l'usine aux États-Unis ... Côté indien, on y découvre aussi de personnages importants de Carbide qui n'avaient pour certains pas la vision aussi pharaonique que les grandes têtes américaines mais dont leur point de vue et leurs recommandations n'ont servi à rien. Toutes les détails de l’implantation de l'usine à Bhopal s'y trouve : recherche de terrain, magouille politique, la construction de l'usine en plusieurs étapes, le recrutement, les premières années fastes de l'usine, les changements de dirigeants, sa détérioration, ... les dernières heures avant la catastrophe. Par ce livre, on découvre également une multitude de personnages qui grâce à leur témoignage, nous permet de recréer leur vie de tous les jours, ce sont bien sûr des personnages de Orya Basti mais également des autres quartiers de Bhopal et les ouvriers ayant travaillé sur le site. Certains personnages on les découvre le soir du 2 décembre ou durant la catastrophe, celle des médecins, étudiants, bénévoles, de ceux qui par leur courage ont essayé de soigner les blessés, regrouper les morts notamment selon leur confession et également leur permettant de retrouver leur identité. Malgré la catastrophe, Carbide a fait la sourde oreille et n'a pas permis de donner les composants exacts des gaz et l'antidote qui auraient pu sans doute sauver des vies mais surtout éviter de si graves problèmes de santé sur les témoins directs et les générations futures, à jamais perdu. L'écriture de ce récit allie force et sensibilité, on suit des personnages comme dans un roman, tout en ayant un aperçu sur Carbide. Les auteurs permettent au lecteur de mettre sur certains noms des visages, on découvre en milieu de livre des photos : introduction sur les insectes ravageurs de cultures, Carbide, Bhopal et son histoire, l'usine de Bhopal et les ingénieurs, le bidonville et quelques personnes que l'on apprend  à connaître dans le récit et la tragédie. Je conseille vraiment à tous de lire ce livre, même si cette catastrophe a eut lieu il y a bientôt 30 ans, la même chose peut se reproduire à n'importe quel moment, et il faut que chacun prenne conscience des conséquences de ces catastrophes, où qu'elles soient déroulées.

"Tu baisses la tête, tu l'écraser, tu supportes tout, lui avait-on dit. Tu rengaines tes rancœurs contre l'usine qui empoisonne ton puits, l'usurier qui te saignes, les spéculateurs qui font monter le prix du riz, les gosses de tes voisins qui t'empêchent de dormir en crachant leurs poumons toute la nuit, les partis politiques qui te sucent et se foutent de toi, les patrons qui te refusent du boulot, l'astrologue qui te demande cent roupies pour te dire si ta fille va se marier. Tu acceptes la boue, la merde, la puanteur, la chaleur, les moustiques, les rats, la faim. Et puis, un jour, bang ! Tu trouves un prétexte et l'occasion t'est donnée de crier, de casser, de cogner. C'est plus fort que toi : tu fonces!"
Page 333


 

Il était minuit cinq à Bhopal

De Domnique Lapierre et Javier Moro

Poche - Éditions Pocket (2002) - Robert Laffont - 572 pages - ISBN : 978-2266121088 - en occasion

Broché - Éditions Robert Laffont (2001) - 442 pages - ISBN : 978-2221091319


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