Retrouvez chez vous, s'il vous plaît, un vieux brûle-parfum de famille tout constellé de vert-de-gris, allumez-y des copeaux d'aloès et écoutez-moi vous raconter une histoire de Hongkong d'avant-guerre : lorsque les copeaux auront fini de brûler, mon histoire, elle aussi, sera terminée
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Brûle-parfums, que de plus beaux d'appeler de cette façon ces romans, alors que Hong-Kong signifie "Port aux parfums". A travers deux brûle-parfums, deux courts romans, le lecteur sera amené à découvrir Hong-Kong à une autre époque et via deux ornières, l'ornière traditionnelle et l'ornière avec une pointe d'Occident.
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Premier brûle-parfum Hong-Kong d'avant-guerre. Ko Wei-lung vit depuis deux ans à Hong-Kong, les bourses de son père s'amenuisant, il était temps pour sa famille de revenir dans leur ville d'origine, Shanghai. Mais Wei-lung voulait poursuivre ses études à Hong-Kong, et la seule qui pouvait alors l'aider était sa tante qu'elle n'a jamais rencontré auparavant. En effet, sa tante a décidé bien avant la naissance de Wei-lung de laisser de côté sa vie respectable pour devenir une concubine. Aujourd'hui veuve, elle s'était mariée comme quatrième co-épouse avec Liang Chi-t'eng, un riche homme d'affaires cantonnais. Cette histoire l'a embrouillé avec sa famille et principalement avec le père de la jeune Wei-lung. Madame Liang vit dans l'opulence, quelque peu sur le déclin, et dans une somptueuse demeure sur les hauteurs de Hong-Kong. Elle est réputée dans la ville pour ses soirées mondaines mais est aussi la proie de nombreux profiteurs qui en veulent à son argent. Madame Liang a accepté d’accueillir sa nièce, de la loger et de lui mettre à sa disposition tout son personnel. Bien plus, que Wei-lung n'aurait imaginé. Madame Liang voit en elle une personne de compagnie avec laquelle elle pourra vaquer à ses loisirs et bavarder, mais surtout qui lui apportera de beaux étalons qu'elle pourra tenter de séduire. Pour Wei-lung, une nouvelle vie prendra forme, avec une toute nouvelle éducation mais surtout de nouvelles fréquentations qui vont la guider inconsciemment sur un chemin auquel elle n'y était pas à l'origine destinée.
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Second brûle-parfum Roger enseigne la physique-chimie à la South China University et maître de l'internat. Aujourd'hui il va sortir de son long célibat pour épouser la jeune et belle Susie qui était tombé amoureux de lui. Une journée de noces qui l'a réveillé heureux, et cela sera sans doute la dernière fois qu'il ressentira du bonheur.
~~~~~~ Deux destins à l'opposé, une vie qui commence, l'une qui se termine, une romance, un drame. Un mot qui lie les deux romans, la réputation. Une réputation qui peut se défaire plus vite que l'on peut imaginer et souvent sans prévenir, surtout sur ce petit bout d'Hong-Kong. Une réputation nourrie par les ragots qui rythment la vie de ses habitants et qui s’ébruitent à travers la ville en un coup de vent. "Deux brûle-parfum" est une agréable lecture qui nous transporte sur ce confetti colonial du bout du monde au porte de la Chine. Deux styles, deux histoires, deux communautés, deux jeux de séduction, deux jeux de trahisons. Eileen Chang, à travers ces deux romans, a réussi un livre avant-gardiste, en scindant avec brio la culture traditionnelle et la culture occidentale. La culture traditionnelle n'est pourtant pas exactement ce à quoi le lecteur s'attendra. Outre le côté romanesque, le lecteur découvrira les nombreuses descriptions sur l'environnement de ses personnages, la topographie des lieux, la flore, mais aussi la délicatesse des tissus et des demeures, de quoi s'y fondre entièrement. Hong-Kong, la mystérieuse, se dévoilera à travers l'écriture de Eileen Chang, les joueurs de mahjong et les concubines reprendront vie et le lecteur ne pourra qu'être subjuguer par ces jeux de personnages. Ayant voyager à Hong-Kong, et ayant cherché ces quartiers typiques, oubliés des guides touristiques et pourtant si singulier, je ne pouvais qu'être conquise de découvrir ces arrières-plans.
Une fois happée par la penderie, Wei-lung s'y absorba deux ou trois mois et eut de nombreuses occasions de s'habiller ; les banquets, les thés, les concerts, les parties de mahjong, n'étaient rien d'autre pour elle que l'occasion d'arborer ses toilettes. Elle se félicitait secrètement d'être utilisée par Madame Liang pour attirer les jeunes gens, dans des dancing huppées, en de rares occasions où sa tante l'emmenait avec elle, ou le plus souvent dans ses réceptions à la maison.
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Il faisait sombre maintenant, la lune se levait, toute jaune dans le satin vert jade de la nuit, comme une petite trace de brûlé laissée par une braise d'encens tombée sur un ouvrage de broderie.
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Deux brûle-parfums
De Eileen Chang
Titre original : "Chenxiang xie: diyi lu xiang" et "Chenxiang xie: dier lu xiang"
Traduit du chinois par Emmanuelle Péchenart
Éditions Zulma • ISBN 978-2-84304-701-5 • 224 pages • ISBN 978-2-84304-701-5 • Prix éditeur : 17,50 €
Parution le 09 avril 2015
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