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Le Vieux faillit dire la vérité : certaines fois, il redoutait davantage ce éléphant que n'importe quel dieu. Il sentait quelque chose de nébuleux derrière ces yeux aussi limpides que du miel. Alors que, serré dans la trompe, il s'était envoyé, le Vieux avait cru sa dernière heure venue, que l'éléphant se retournait contre lui : la peur la plus profonde de tout gardien. Durant cette ascension si brève le submergea aussi la certitude bouleversante d'une épiphanie : "Voici donc ce qu'il a toujours éprouvé pour moi." [Page 143 - 144]
Celui que les hommes surnomment "Le Fossoyeur" car il recouvre ses victimes de branches et de feuilles, est un éléphant d'une dizaine d'années. Après avoir assisté au meurtre et au braconnage des deux mâles de son clan et de sa mère, "Le Fossoyeur" a été vendu à Elephant Sabu, un loueur d'éléphants. "Le Fossoyeur", ayant été le plus beau des éléphants possédés par le Sabu, il était donc régulièrement sollicité pour travailler dans les temples, les églises, aux processions de mariage et à des meetings politiques. Quelle vie difficile et épuisante, même s'il était au bon soin du Vieux, héritier du savoir-faire du métier de gardiens d'éléphants depuis plusieurs générations. Mais tous les soigneurs n'étaient pas comme le Vieux.
Manu ne s'est jamais entendu avec son frère aîné, un braconnier, tueur d'éléphants et trafiquant d'ivoire. Il préférait passer son temps avec son cousin Raghu jusqu'à ce dernier décède dans sa palli, piétiné par un éléphant, alors qu'il surveillait, une nuit, la rizière. Cette disparition tragique puis l'accident qu'avait eu sa belle-sœur alors enceinte, qui a failli perdre la vie à cause d'un éléphant, embarque Manu dans les histoires de braconnage de son frère.
Emma est une Américaine qui réalise, avec Teddy, un film documentaire sur Ravi Varma, un charismatique vétérinaire d'une réserve naturelle, qui recueille et soigne des animaux sauvages dont de jeunes éléphants orphelins. Mais le métier de vétérinaire d'animaux sauvages n'est pas toujours facile, car un éléphant sauvé aujourd'hui peut être tué demain, et un des rôles du vétérinaire est de pratiquer des autopsies pour connaître les raisons du décès.
Dans "D'ivoire et de sang", l'auteure indo-américaine Tania James nous transporte dans le Sud de l'Inde, sans doute au Kerala. Trois histoires, trois vies, plusieurs destins, quelques chassé-croisé qui sont contés au lecteur.
"D'ivoire et de sang" est avant tout l'histoire de celui que l'on surnomme "Le Fossoyeur", un éléphant qui a eu une vie tragique. C'est son histoire que l'on retrouve dans les pages de ce roman mais elle pourrait être celle de tous les éléphants d'Inde et du monde : chassés et tués pour l'ivoire ou même pour servir de remède à une médecine traditionnelle ; arrachés de leur clan et de leur vie sauvage pour travailler au service de l'homme. Tania James ne lésine pas dans les détails, permettant ainsi à son lecteur de prendre conscience avec quelle sauvagerie, les animaux sont tués ou traités. Elle n'hésite pas à mettre en scène des braconniers, des personnes qui surexploitent les éléphants, ... Mais elle n'oublie pas de montrer qu'il y a des personnes qui sont là pour le bien-être des éléphants : le vétérinaire qui est prêt à sauver les éléphants ou ce gardien d'éléphant, le mahout, qui sait parler à l'oreille des éléphants. Au milieu de ce "commerce" de l'éléphant, Tania James donne la parole à un jeune et pauvre villageois et à une occidentale. Ainsi, elle nous permet d’entrapercevoir ce que chacun pense et perçoit des éléphants. "D'ivoire et de sang" n'est pas uniquement l'histoire tragique de l'éléphant mais également celle de ce villageois, ballotté entre son respect des animaux et la survie.
"D'ivoire et de sang" est loin d'être un conte pour enfants. Tania James nous offre, dès les premières pages, à rentrer dans le vif du sujet. En lisant ce roman, ceux qui ont lu "Vers le Cimetière des Éléphants" de Tarquin Hall s'en souviendront, car différents sujets aujourd'hui exploités par Tania James avait été par l'auteur et journaliste anglais. Il est très appréciable que la nouvelle génération d'auteurs reprennent le flambeau. "D'ivoire et de sang" est un roman écrit avec beaucoup d'ingénuité car il pourrait sembler qu'il n'y a pas réellement de dénouement et pourtant, Tania James a su parfaitement manier sa barre et nous offre ainsi un roman parfait, et surtout très intéressant, haletant. C'est un roman qui marque et qui nous invite à réfléchir.
En lisant ce roman, souhaitons que les lecteurs prennent enfin conscience que les éléphants sont plus heureux dans la nature. Ce roman démontre que lorsque les éléphants tuent les hommes, les hommes sont les premiers responsables. Ce roman nous offre également à découvrir le business du braconnage, qui a lieu même en Inde.
Qu'en lisant ce roman, les gens réagissent enfin au sort des éléphants et d'autres animaux sauvages, tués, exploités pour le seul plaisir des hommes.
"D'ivoire et de sang" est un véritable électrochoc, qu'il puisse ainsi l'être à tous.
Pour terminer, il est important de féliciter le travail de l'éditeur français qui a sublimé le roman, à travers sa charte graphique, la police de texte et la qualité du papier (composé de fibres naturelles, renouvelables, recyclables et fabriquées à partir de bois provenant de forêts gérées durablement). Ouvrir ce roman et découvrir le travail de l'éditeur donne énormément envie de lire le
Des cavités du crâne émanait l'odeur de la Grande Mère, antique et minérale, envahissant ses poumons. Cette odeur convoqua d'autres souvenirs : les rides de sa trompe, la colonne de sa patte, cette patte contre laquelle il s'appuyait. Il n'était plus capable de discerner si la lumière faiblissait derrière ses yeux ou dans le ciel, mais tout cela semblait désormais sans importance. Une seule idée occupait son esprit : c'était donc cela, la vérité ! Il devait bien sûr finir ses jours à cet endroit précis, entouré de son odeur à elle et d'une blancheur omniprésente, la blancheur à l'intérieur d'un œuf, comme pour entamer une autre vie. [Page 157]
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"D'ivoire et de sang"
De Tania James
Titre original : "The Tusk that did the Damage"
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent
Éditions Rue de l’Échiquier - Date de parution : 2 septembre 2021 - ISBN : 9782374252988 - 256 pages - Prix éditeur : 22 €
Prix et nomination de "The Tusk that did the Damage" :
En 2015 : "Best Book of 2015 by The San Francisco Chronicle and NPR"
"New York Times Editor’s Choice"
En 2016 : "International Dylan Thomas Prize" et de la liste "Financial Times/Oppenheimer Award".
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