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Calcutta - Deux ans dans la ville de Amit Chaudhuri

Il y a soixante-dix ans, parler le bengali à Calcutta, ce n'était pas la même chose que de parler anglais à Londres à la même époque ; en fait, c'était le sommet d'un iceberg multilingue où l'on trouvait presque aussi facilement le hindi, l'ourlou et l'anglais, quasiment au même titre que le bengali et ses dialectes orientaux, avec en toile de fond le gujarati, le tamoul, le télougou, le pendjabi, l'arménien, le mandarin, le cantonnais, l'italien, le tibétain, le bhojpuri, le maïthili, l'oriya, le marwari et l'assaimais. Bien sûr, les visiteurs qui séjournent quelques mois à Calcutta commencent par dire quelques mots de bengali car, à bien des égards, c'est la langue de la rue et des bureaux, mais aussi celle des coins et recoins ...
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Dans l'imaginaire occidentale, Calcutta ou Kolkata, est une ville ombragée par la pauvreté et la misère, reflet émanent de l'action de Mère Teresa et du film mondialement connu "La Cité de la Joie". Pour un fervent lecteur de littérature indienne, Calcutta renvoie l'image découverte dans les poèmes de Tagore et de Satyajit Ray, les romans de Mahasweta Devi ou Naipaul par exemple et d'auteurs plus contemporains dont fait partie Amit Chaudhuri. De Calcutta, Amit Chaudhuri a surtout connu la ville pendant ses vacances d'hiver et d'été chez son oncle, n'y ayant à peine vécut. Amit Chaudhuri y est bien sûr né, car en Inde il est de coutume que les enfants naissent chez les grands-parents maternels. Les parents d'Amit Chaudhuri, malgré leurs origines bengalies, ont cumulé nombre d'allers-retours Bombay-Calcutta, privilégiant la première ville et ne se posant que pour une courte durée dans la seconde avant de s'y installer définitivement pour leurs vieux jours. Son père avait été le premier PDG d'une biscuiterie indienne, la Britannia Industries, dont le siège a fait a fait nombre de déménagements entre les deux villes. Des migrations, justement, Calcutta en a vécut d'autres, mais pas forcément pour peupler sa ville. La plus importante des migrations est celle qui a entraîné la fuite de toutes les classes vers la nouvelle capitale de l'Inde, New Delhi ou pour une contrée lointaine comme par exemple les États-Unis. La seconde vague de migration, a modifié l'image de Calcutta, car elle a eut lieu en elle, mouvement orchestrée par les classes moyennes négligeant le Nord ("historique") pour construire une nouvelle cité au Sud de la ville. Pour écrire ce livre, Amit Chadhuri, accompagné de sa famille, s'est posé à Calcutta de 2009 à 2011 pour s'imprégner de la ville, avec quelques pauses anglaises. Par ce livre, il relate son expérience personnelle de cette époque et ses inspirations. Durant ce témoignage, où il invite son lecteur presque comme un guide, il nous fait partager les lieux de cette ville qui l'ont le plus marqué, et d'où ressortent de profonds souvenirs. Pour cela, durant son séjour, il a été attirée par la "Free School Street" devenu "Mirza Ghalib Street". Des commerces qu'il fréquentait plus jeune existent toujours, comme le salon de thé le "Flurys" ou l'Oxford Bookstore. Mais depuis ces lointaines années, des nouvelles échoppes ont envahit les trottoirs comme l'étal de nourriture de Ramayan Shah devant "l'hôtel" Chandan. Outre ces commerces qui ne permettent plus de longer la rue sans rencontrer d'obstacles, la rue est devenue un flot incessant d'une population de toutes les classes sociales. Il nous plongera également en pleins dans les élections de 2011 qui sera un grand tournant pour Calcutta et le Bengale Occidental conduisant à une victoire historique du "Trinamool Congress" sur le Parti Communiste, au pouvoir depuis des décennies. Il nous permettra d'assister à des tea-times en compagnie d'hôtes du Calcutta d'hier et à des déjeuners pour nous faire part à la mutation de Calcutta vers un nouvel avenir. Mais son analyse ne s'arrête pas à ses propres souvenirs et aux évènements ayant eut lieu durant cette période ou durant ses précédents séjours. A travers les pages, ils nous fait découvrir tout ce qui a fait l'identité de Calcutta, ses lieux notamment ces grandes demeures témoins de l'histoire, les intellectuels de Calcutta et ses personnalités, ses rencontres avec ceux qui ont fait ou qui font le Calcutta d'aujourd'hui et lui donnant ainsi une certaine identité à cette ville reléguée au troisième plan en Inde.


Ce livre est étonnant pour de nombreuses raisons. L'une d'elle est le style de l'auteur, il écrit avec une certaine familiarité avec son lecteur, tel un guide en l'invitant à descendre ici, ou de regarder par ici ou de participer à une conversation avec celui-là. Dans son rôle de guide, il n'hésite pas à remonter le temps et à nous faire un cours sur l'histoire, la politique, les arts et les lettres, les métiers, les comportements et certaines mœurs de cette ville ou sur sa région. Une autre raison est que le sujet est fascinant, innovateur et d'une grande profondeur. Il tisse son reportage avec de nombreuses références et allusions biographiques (Tagore bien évidement, Naipaul, Rudyard Kipling par exemple) et excelle à révéler l'esprit du lieu choisi. Il partage son grand savoir et celui de son épouse, qui donne à ce récit une conation intellectuelle et fort intéressante. Il y intègre un panel de personnages vers qui il s'est tourné ou qui ont croisé sa route lors de sa quête d'information pour agrémenter son livre, des personnages de tous les horizons et qui reflété la diaspora indienne. Le résultat est une toile moderne qui reflète la complexité et la diversité de la métropole elle-même et est à son tour en miroir par style idiosyncrasique de Chaudhuri, mélange autobiographique, reportage littéraire et essai personnel. Une très belle lecture à la découverte d'une Calcutta méconnue, à travers les yeux d'un écrivain qui a vécut entre Bombay, l'Angleterre et Calcutta et qui grâce à des atouts, social et professionnel, nous ouvre des portes sur le passé, le présent et le futur.

C'est un monde que tout enfant indien connaît par les bandes dessinées : le royaume du Magadha, le flamboyant empereur Chandragupta Maurya sur son cheval, les sages tonsurés, rassemblés autour d'un arbre sacré, les femmes sensuelles que les illustrateurs des albums d 'Amar Chitra Katha dessinaient avec un plaisir lascif. Quand ils jettent un oeil sur ce royaume enchanté de l'Inde éternelle, ni l'écolier ni l'adulte ne font le rapprochement avec le Bihar, synonyme de ministres, bureaucrates et policiers honnis, de petits seigneurs et de paysans ignorants, dont les langues autrefois si poétiques - le bhojpuri et le maithili - dans la bouche des gens comme Ramayan Shah, font aujourd'hui sourire.
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Mon épouse, qui est dix-neuviémiste, m'a signalé un poème intitulé Ingraji Naba Barsha ("Le Nouvel An anglais"), du poète Iswar Gupta, à son avis sous-estimé. Cet écrit a paru en 1852, peu avant les bouleversements de 1857 - quand la révolte des Cipayes allait faire passer le pouvoir colonial de la Compagnie anglaise des Indes orientales à celui de la Couronne, et officialiser l'Empire. Ce poème est malicieux, gentiment satirique ; et R. me rappelle qu'il est très fidèle à la réalité, dans sa façon de capter l'évènement avec la précision d'un communiqué.
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Mais il fallait revenir. Si j'ai connu la naissance, j'ai aussi connu la mort. Il n'y a rien de rationnel au fait qu'à chaque fois je sois pris d'une sensation d'outre-tombe, d'inutilité, de paralysie - symptômes et signes d'une mort imminente - avant le départ. Mais qui a jamais dit que se cramponner à la vie pouvait être expliqué de manière rationnelle ? Ce que je veux dire, c'est ceci : l'Inde, pour une raison ou une autre, est pour moi synonyme de vie ; et ce n'est pas en soupesant ses avantages que l'on aime la vie.
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Même en Inde, Calcutta était devenue un objet de risée. Et cette lente modification était fascinante : foyer "culturel" d'autrefois, cette ville admirée par son excentricité et son anticonformisme se voyait ridiculisée par des frimeuses comme Delhi et Bombay, pour son côté démodé et dépassé, pour sa main-d’œuvre gangrenée par les syndicats, pour son éthique du travail sans cesse ralentie, sa politique d'opposition systématique.
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Le terme "non-Bengalis" est ici un euphémisme pour désigner les Marwaris ; en parler local, on les nomme péjorativement les "Mero". Ils sont originaires d'une province du Rajasthan appelée le Marwar, ont émigré chez nous il y a un siècle puis, poussés par leur tempérament de voyageurs, ont déménagé, ces vingt dernières années, du nord de Calcutta ver les élégantes enclaves bhadralok du sud. Ce sont souvent de riches commerçants : leur communauté a aussi fourni à l'Inde certaines des plus grandes familles commerçantes.
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Cette nouvelle humanité (à laquelle vous-même vous appartenez) est peut-être constituée par les citoyens d'une Inde contemporaine, ou même d'une nouvelle Calcutta, mais c'est ici que vous la voyez dans toute son étendue et son hétérogénéité, allant des membres de la classe supérieure à quelques rares Européens des étudiants, des gens de la classe moyenne et de la classe ouvrière, des familles provinciales de religions diverses, certaines femmes complètement enfermées dans des burqas, d'autres déployant des saris aux couleurs éclatantes, ces familles, surtout les femmes et les enfants ...
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Pour Tagore, la graphie est une pratique à laquelle il vous une affection sans bornes et qui devient pour lui un moyen d'exploration - ce n'est pas par hasard si la peinture, qu'il aborde à un âge avancé, trouve son origine dans ses corrections et ses ratures manuscrites. Dès lors, il n'est pas étonnant qu'une des publicités parrainées par Tagore ait été l'encre.
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"A Bombay le grand souci, c'est l'argent -ai-je dit-, et à Delhi, c'est le pouvoir - débitant comme un perroquet ma sagesse de bazar. Peut-être qu'à Delhi aujourd'hui, c'est à la fois l'argent et le pouvoir. Quant à Calcutta ... - Le souci de Calcutta, c'est : "Est-ce que vous mangez à la maison ce soir ?", dit-il. Il faisait écho, mot pour mot, à ce que ma mère me dit - ou dit à ma femme et moi - à chaque fois que nous sortons le soir. [...] Très peu de gens reviennent à Calcutta aujourd'hui, si ce n'est qu'être avec leurs parents.
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C'est, plus probablement, son basasthan à elle. Pour moi, c'est un lieu de travail, et ce lieu inclut mes parents. L'écriture et la musique, il est vrai, m'empêchent de consacrer beaucoup de temps à mes parents ou à mon travail : ils constituent pourtant la raison - viscérale - pour laquelle nous ne plions pas bagage.
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Calcutta

Deux ans dans la ville

De Amit Chaudhuri

Titre original : Calcutta - Two Years in the City

Traduit de l'anglo-indien par Simone Manceau

Éditions Hoëbeke - Collection Étonnants voyageurs - Broché (10 septembre 2014) - ISBN : 978-2842304980 - Prix Éditeur : 21,50 €

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