D'un film à l'autre la différence de teinte est parfois imperceptible et pourtant l'effet créé sur le public est différent. Le langage, la manière de s'habiller, de se comporter, le milieu dans lequel le personnage évolue, la nature du personnage, ont autant d'indications qui vont teinter symboliquement les carnations. [Page 110]
"Blanc Bollywood - Invention d'une peau cinématographique" est un ouvrage qui mêlent peau, cinéma et Inde. A l'origine, il est une thèse qu'avait écrit Hélène Kessous* pour un doctorat en anthropologie, résultat d'une enquête qu'elle a réalisé en partie sur le terrain à Delhi et à Bombay.
Il est vrai que dans cet immense pays qu'est l'Inde, les indiens arborent une couleur de peau très nuancée, du très claire au très foncée. Alors pourquoi, voit-on dans le cinéma des acteurs et des actrices et dans la lithographie des dieux et des déesses à la teinte de peau plutôt pâle que sombre. Pourquoi avoir le teint sombre est automatiquement assimilié à une population de basse caste et le teint clair, aux castes les plus hautes, les plus prestigieuses ? Pourquoi associe-t-on dans les films, le teint clair aux gentils et le teint sombre aux méchants ? D'où vient cette "norme" et que véhicule-t-elle ? Quel est l'impact de ce diktat de la peau claire sur la société indienne ?
Hélène Kessous s'est intéressée au sujet et remonte au temps où le cinématrographe arrivait en Inde en 1896 avec l'opérateur des Frères Lumières, Marius Sestier, qui coïncide à quelques années près avec l'arrivée d'une nouvelle technique, la chromolithographie et qui est la spécialité de Raja Ravi Varma qui fonda sa société en 1894. La chromolithographie sera une étape capitale dans l'affirmation et la généralisation de la blancheur dans les images car sous le trait de Varma naîtra un monde indien blanc. Mais pourquoi cette généralisation suivra dans le cinéma indien ? Dans cet ouvrage, Hélène Kessous analyse ce sujet en mettant l'accent sur les grands étapes du cinéma indien. Pour parfaire son analyse, elle la complète à travers des exemples issus de films et des acteurs et actrices qui ont marqué le cinéma indien. Hélène Kessous a mené une véritable enquête pour connaître le ressenti des indiens à propos de la couleur de peu des acteurs et des actrices indiens mais également nous permet de comprendre comment le cinéma indien est perçu en Occident. Hélène Kessous n'hésite pas à parler du cinéma occidental sur l'Inde et l'image - négative - qu'elle a véhiculé à propos de l'Inde depuis le colonianisme où les indiens étaient tournés en ridicule. L'Inde s'est vu alors forgée, sans qu'elle puisse faire quoi ce soit, une image très clichée et pas forcément positive qui lui est encore atribuée à ce jour.
"Blanc Bollywood" offre une analyse et une lecture passionnante agrémentée d'illustrations et d'un tableau chromatique avec certains principaux acteurs et actrices de Bollywood, dont on prendra conscience pour certains de changements significatifs sur leur physique. En sept chapitres, l'autrice de cette analyse nous parle bien plus que du cinéma indien et n'hésite pas à faire un tour au Japon, où la blancheur de peau est traditionaliste.
Pour comprendre le cinéma indien et l'Inde, lire "Blanc Bollywood" est l'ouvrage par excellence, disons même de référence. A lire et à relire, sans aucune hésitation.
Le blanc occidental n'est pas un modèle que l'on souhaite atteindre en Asie, ni même en Inde, car c'est un blanc que l'on trouve inférieur et de "mauvaise qualité". [Page 130]
*Hélène Kessous est docteure en anthropologie sociale et ethnologie. Elle est/a été co-commissaire de l'exposition "Bollywood Superstars" qui (a) eu lieu du 26 septembre 2023 au 14 janvier 2024 ·au Musée du Quai Branly de Paris.
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"Blanc Bollywood - Invention d'une peau cinématographique"
de Hélène Kessous
Editions Mimésis - Collection : Cinémas en champ-contrechamp - Date de parution : 24 août 2023 - ISBN : 9788869763878 - 257 pages - Prix éditeur : 22 €
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