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"Après la pluie" de Shashi Deshpande

Et de toute façon, il n'y a rien d'exceptionnel à ce qui s'était produit dans notre famille. Grosso modo, toutes les familles suivent la même voie : éloignement graduel, effilochage des liens, hostilité et rivalités entre frères et soeurs, attentes et déceptions qui creusent le fossé entre parents et enfants. Les choses ne peuvent que changer ; seul un gamin est capable d'envisager qu'elles restent à jamais identiques, que les familles sont immuables. Ainsi notre famille aussi s'était transformée. Après tout, nous n'avions rien d'unique.


Quatrième de couverture Un père anatomiste passionné par le corps, ses lois organiques, ses mystères et ses plaisirs. Une mère écrivain, confite dans des histoires d'amour parfaites et romantiques, jusqu'à la dernière, d'une violence terrible, avant que s'installe le silence. Un oncle qui se joue de la vie et de la mort au sein du gang de Bombay dont il est le chef clandestin. Une soeur trop aimée, un cousin trop aimant, et une jeune femme, Manjari, qui tente de démêler les fils du passé et du présent pour comprendre les liens d'amour, de désir et de révolte qui unissent tous ces êtres. Comme souvent chez Shashi Deshpande, c est la maison familiale qui est au coeur de l histoire. La maison où Manjari découvre le journal laissé par son père après sa mort, la maison menacée par des intrus qui veulent l'en chasser, la maison gardienne de tous les secrets. "Après la pluie" est une quête tissée de liens et d'échos où le désir de déchiffrer le sens de ce qui a été permet d'ouvrir enfin la porte sur l'espace libre et infini de la mer, sur l'horizon offert du choix.


Cette maison était un projet d'une vie, celui de rassembler trois couples inséparables depuis leur jeunesse : RK et Gayatri, BK et Kamala, Vasu et Badri. Badri s'y serait vu entouré de sa famille, sa femme Vasu - qui a été pourtant toujours réticente à quitter sa Bombay natale pour Bangalore, leurs filles et peut-être même s'il vivait assez vieux ses petits-enfants. Ils seraient ainsi tous ensemble, comme durant ces étés où ils étaient tous rassemblés dans l'ancienne maison à son beau-frère RK et sa soeur Gayatri, aujourd'hui détruite. Mais il semble que leur vie dépendait d'évènements qui échappaient à leur contrôle pour prendre des tournures inattendues. Ainsi BK et Kamala n'auront jamais quitté Bombay. RK qui aura acheté le terrain et commencé à bâtir la maison est décédé avant que d'avoir pu y emménager. Quant à Vasu qui aura réussi à franchir le cap, celui de quitter Bombay pour Bangalore aidée par le décès prématuré de sa fille cadette, décèdera d'une maladie héréditaire. Gayatri qui aura perdu trop tôt son mari BK y trouvera un peu de réconfort auprès de son frère Badri comme lorsqu'ils étaient enfants mais elle finira à son tour par rejoindre ceux qui l'ont précédés, suivi de près par Badri. Ce projet fut donc une parfaite utopie. Aujourd'hui la maison est vide, ne restant que Manjari que l'on surnomme Jiji. Elle venue à Bangalore pour prendre soin de son père Badri et qui, après son décès, y est restée n'ayant nulle part où aller. C'est sa fille Sachi l'héritière de la maison mais elle n'est qu'encore étudiante et ne vit pas dans cette ville. Heureusement pour Jiji, il reste à ses côtés Raja qu'elle connaît depuis son enfance où ils furent compagnons de jeux. Tout comme Jiji, Raja a connu trop tôt le veuvage et se retrouve seul, son fils étant en pension. Raja est le fils de BK et Kamala et contrairement à ses parents, il est venu s'établir à Bangalore où il fait une brillante carrière d'architecte. Raja a toujours été très proche de son oncle RK - le frère à BK - et de sa tante Gayatri - la soeur à Badri -, d'ailleurs BK et Gayatri l'ont toujours considéré comme l'enfant qu'ils n'ont jamais pu avoir. Raja était à leurs côtés durant toutes les étapes difficiles qu'ils ont traversées et jusqu'à leur mort, Raja l'a même été pour Badri alors qu'ils n'ont aucun lien de parenté. Au décès de son père, Jiji  a fait le tri dans les affaires de ceux qui vécurent dans cette maison mais ne put se résoudre à jeter les livres. Elle y a découvert les écrits de sa mère et ses talents d'écrivain qu'elle cachait à ses proches. Jiji se résout à garder les livres qui ont accompagné son père durant les dernières années de sa courte vie dont son journal intime. Mais la grande question est est-ce qu'il faut se défaire de cette maison trop grande et ainsi se défaire d'une chimère ? Jiji réussira-t-elle à faire le deuil de son passé et de ceux qu'elle a perdu ? Les fantômes du passé qui la hantent et qui l'empêchent d'avancer, décideront-ils enfin de laisser vivre et croire en l'avenir ? Va-t-elle faiblir devant les menaces dont elle fait l'objet ?


Vous l'aurez compris dans mon résumé, "Après la Pluie" est un livre où la mort est omniprésente. La mort est un sujet tabou, un sujet que l'on évite et dont on essaye de faire abstraction. Et pourtant lorsqu'elle frappe à la porte, l'on ne peut plus l'ignorer indéfiniment. Il faut faire face à elle comme le fait Badri, le père du personnage principal du roman Jiji. A travers ses écrits qui parsèment le roman, l'on découvre sa position face à elle durant la dernière année de sa vie : ses peurs, ses regrets, ses meilleurs souvenirs, ses profondes blessures et peu à peu une certaine forme de paix et de délivrance face à elle. Ceux qui restent doivent également faire face à la mort et doivent faire leur deuil en réapprenant à vivre, à exister, à aller de l'avant, profiter de chaque instant, ... Tout en sachant que les êtres aimés ne reviendront plus. Dans "Après la Pluie", c'est à Jiji accompagnée par Raja à qui est donnée cette mission. Son travail de deuil est très important car avec le décès de son père, des douleurs du passé vont ressurgir mais ce sera  avant tout ce qu'elle a évité durant toutes ces dix-huit années qui remonteront à la surface. Elle y découvrira qui a été sa mère à travers les articles de presse et les livres qu'elle a écrit, elle découvrira son père avec qui elle avait toujours une sincère complicité durant sa jeunesse mais qui s'est évanouie avec son amour pour Shyam. Mais surtout elle se souviendra. De quoi, au lecteur de le découvrir. A travers les chapitres de "Après la Pluie", nous y découvrons tout un panel de personnages allant d'un passionné par le corps humain à un patron de la pègre de Mumbai en passant par un caméraman rêvant de faire carrière à Bollywood, un fonctionnaire et un architecte. Autour de leur être, une aura de mystère qui ne se dévoilera qu'au fil du roman. Sashi Deshpande nous fait découvrir ces personnages d'une façon délicate et tout en finesse, de telle façon que même dans les moments les plus sombres nous n'arrivons pas à les détester.  Les relations entre Jiji et Raja laisseront également un certain mystère, vont-ils nous offrir un happy-end ou un sentiment d'inachevé ? En tous les cas, les intentions de Raja sont dévoilées assez rapidement mais l'intrépide et très confuse Jiji ne laissera rien transparaître. Le roman n'étant pas uniquement focalisé sur la conception de la mort dans l'hindouisme, il pourrait se dérouler dans n'importe quel endroit au monde et c'est très appréciable que Shashi Deshpande aborde "la mort" à travers toutes les religions et toutes les cultures, cela offre une vision universelle du sujet. L'Inde est toutefois très présente, Badru est l'arrière-petit-fils d'un propriétaire terrien de l'Inde du Sud, son père s'était investie pour le mouvement de la liberté de Gandhi et sa première épouse avait été une intouchable. RK et BK sont des brahmanes et Jiji s'est mariée hors caste. Shashi Deshpande, à travers la mère à Jiji, nous prend conscience des difficultés apportées par les nombreuses langues que l'on trouve sur le territoire indien. Il a été judicieux par l'auteur d'intégré à son histoire la pègre de Bombay à travers l'oncle maternel Jiji et qui apporte encore plus de mystère à l'ensemble. Shashi Deshpande y a même réussi à insérer le rêve Bollywood à travers le mari à Jiji. Croyez-moi, même si le début du roman peut se révéler fastidieux par ce sujet de la mort pour lequel l'on ne se sent pas forcément pas à l'aise, par le grand nombre de personnages aux noms peu familiers et qu'il faut connaître pour suivre le fil du roman et en plus y démêler les liens qu'ils ont entre eux - l'arbre généalogique qui se trouve en début d'ouvrage est une bénédiction - il faut persévérer et lire ce roman en intégralité. Vous arriverez au point de ne plus quitter cette lecture et à la fin, ne pas vouloir quitter Jiji et Raja. "Après la pluie" est un roman d'introspection pour ses personnages et pour ses lecteurs et nombre de paragraphes ne pourront que vous interpeller. "Moving on" est un message très clair donné par Shashi Deshpande à travers le titre original de ce roman et qui pourrait parler même pour les non-anglophone. Il faut toujours garder la perspective qu'après la pluie, il y a le beau temps.


A présent, je sais que même avec cette encyclopédie que représente l'ADN, nos connaissances sont destinées à rester incomplètes. Car finalement notre identité ne se limite pas à nous-même ; en nous-mêmes, nous ne signifions rien. Une identité devient active, véritable et significative qu'en relation avec les autres. Savoir qui nous sommes, ce que nous sommes. Ce potentiel tout entier ne se réalise qu'au travers de nos relations à autrui.



 

Après la pluie

De Shashi Deshpande

Titre original : Moving On

Roman traduit de l'anglais (Inde) par Simone Manceau

Éditions Philippe Picquier - Parution : 2009 - ISBN : 978-2809701050 - 463 pages - Uniquement en occasion

Également en format poche - Éditions Philippe Picquier - Parution : 2014 - ISBN : 978-2809709933 - 544 pages - Prix éditeur : 10,50  €


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