Je comprends soudain pourquoi je suis partie à la recherche d'Amrita. Je comprends mon obsession d'elle. En plus de ma fascination pour son destin et sa peinture, j'ai dû penser, assez absurdement, qu'elle aurait peut-être la réponse à cette étrange disparition. C'est comme si elle avait été cette femme en sari éclatant qui avait connu Ivan, cette femme parée de ses couleurs encore fraîches, sur ce papier chiffon, rehaussée d'or. Belle, dans son jardin intime, talentueuse, adulée et porteuse d'un secret. Avant de disparaître à son tour. Avec le secret.
Amrita Sher-Gil est une artiste de légende, une avant-gardiste qui a mêlé dans son art les influences européennes et les traditions artistiques indiennes. Décédée en 1941, à l'âge de vingt-huit ans, elle a laissé derrière elle une grande quantité d'œuvres, qui sont considérées comme des trésors artistiques nationaux en Inde et qui ont influencé des générations d'artistes.
Amrita Sher-Gil est à l'Inde ce que Frida Kahlo est au Mexique. Amrita et Frida sont de la même génération, toutes deux étaient en avance sur leur temps et chose incroyable, elles avaient beaucoup de points en commun. Amrita et Frida avaient chacune la volonté de peindre les couleurs des habitants de leur pays respectif et leurs toiles sont empreintes de féminité et de mélancolie. Chacune avait une vie tumultueuse.
Amrita Sher-Gil est le fruit de l'union improbable entre deux aristocrates, Umrao Singh Sher-Gil, un érudit indien et photographe émérite, et d'une artiste franco-judéo-hongroise Marie-Antoinette Gottesmann. Tout comme sa sœur Indira, Amrita est née et a passé une partie de son enfance à Budapest avant que ses parents fassent le choix d'aller vivre à Shimla en Inde. A onze ans, Amrita passa cinq mois à Florence avec sa mère et sa sœur. Cinq années plus tard et durant cinq ans, elles vivront à Paris où Amrita fréquentera des écoles de beaux-arts et de nombreux artistes de Montparnasse. A son retour en Inde, Amrita voyagera à travers le pays pour représenter dans ses toiles la vie du peuple indien.
Dès son enfance et durant sa courte vie, Amrita avait été exposé à deux cultures différentes qui ont contribué à l'enrichissement de son œuvre et à l'expression de sa personnalité. Elle décédera quelques jours seulement avant l’inauguration de sa première grande exposition qui lui était entièrement consacrée dans un haut lieu culturel de Lahore.
Dans "Amrita", l'autrice franco-américaine, Patricia Reznikov, diplômée des Beaux-Arts de Paris, s'est intéressée à cette figure de légende, féministe et avant-gardiste, Amrita Sher-Gil. Dans ce roman, elle met en scène Iris, une artiste parisienne qui n'a plus touché à ses pinceaux depuis une rupture amoureuse il y a depuis une dizaine d'années. Iris vient d'acquérir dans l'hôtel des ventes Drouot, une petite toile indienne moderniste des années vingt-trente ressemblant étrangement au style d'Amrita Sher-Gil. Il n'en faut pas plus à Iris pour s'intéresser à l'artiste indo-hongroise. Pour retracer la vie d'Amrita, Iris s'est appuyée sur les nombreuses photographies du père d'Amrita qui a immortalisé la vie de sa fille depuis ses plus jeunes années. Elle s'est intéressée aux nombreux travaux artistiques d'Amrita réalisés tout au long de sa vie. Pour parfaire ses recherches, elle s'est documentée et a même marché sur ses pas notamment à Paris et en Italie. Avec toute cette document, elle a pu ainsi recréer ce qu'avait dû être la vie d'Amrita, de son enfance à Budapest à son décès à Lahore en 1941. Tout en dévoilant la vie de l'artiste, Iris se dévoile elle-même et commence à reprendre goût à la vie et à l'art. Retracer la vie d'Amrita est pour Iris une thérapie.
Bien évidemment, les travaux de recherche ont été effectués non pas par Iris mais par l'autrice Patricia Reznikov. En fin d'ouvrage, elle cite des ouvrages indispensables à la bonne écriture de son roman : la biographie écrite par Yashodhara Dalmia, l'ouvrage en deux volumes édité par le neveu d'Amrita : Vivan Sundaram et celui de Deepak Ananth. Elle s'est également intéressée à d'autres personnalités, artistes et auteurs de l'époque. Dans "Amrita", Patricia Reznikov est restée très fidèle à l'époque à laquelle vivait cette artiste au talent incroyable et fauchée au début de sa gloire.
Ce roman permet une première approche de la vie d'Amrita Sher-Gil et de ses œuvres, une première en langue française. Le roman combinant un récit fictif et la biographie de l'artiste est très agréable à lire et l'on ne peut que l'apprécier. Ce roman-biographie est extrêmement complet et fourmille de détails. A découvrir sans hésiter.
Assise dans le salon, à Simla, Amrita finit de peindre une de ses héroïnes tourmentées à la longue chevelure dans son carnet à aquarelle. Elle a été inspirée par un film qu'elle a vu récemment. Elle attend que la dernière touche de vert de la forêt de cèdres sèche un peu et forme une goutte savante à la forme parfaite et maîtrisée, avant d'attaquer le bleu des fleurs qu'elle a imaginées au premier plan, de part et d'autre de son personnage.
Amrita
De Patricia Reznikov
Éditions Flammarion - Date de parution : 11 mars 2020 - ISBN : 9782081511767 - 384 pages - Prix éditeur : 21,90 €
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